Quand le "made in China" se transforme en "made in Europe"

Pékin cherche à implanter sa production en Europe, afin de faciliter l'accès de ses produits au marché unique.

Publié le 21 février 2012 à 18h34 - Mis à jour le 21 février 2012 à 20h16

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Vendredi 1er mars, devrait être signé un accord au port de Pirée entre le groupe chinois Cosco, qui gère l'un des terminaux du port de la cité, l'américain Hewlett-Packard et la société grecque de chemins de fer.
Vendredi 1er mars, devrait être signé un accord au port de Pirée entre le groupe chinois Cosco, qui gère l'un des terminaux du port de la cité, l'américain Hewlett-Packard et la société grecque de chemins de fer. AFP/ANGELOS TZORTZINIS

A l'heure où la Chine se positionne en ami de l'Europe face à la crise de la dette, le géant des pays émergents place ses pions, doucement mais sûrement, au sein du marché unique. Même si l'implantation chinoise en Europe est balbutiante, Pékin, qui produit principalement en Asie et en Afrique, s'intéresse de plus en plus à l'Union européenne – particulièrement depuis trois ans.

C'est d'abord sur la Grèce que la Chine a jeté son dévolu, en voulant faire du port du Pirée, près d'Athènes, le principal centre de transit des marchandises vers le marché européen. Aujourd'hui, celui-ci est largement dominé par la présence du géant chinois du transport maritime China Ocean Shipping Company (Cosco), qui y contrôle deux terminaux depuis 2009. En 2010, le premier ministre, Wen Jiabao, y entamait une tournée européenne, rencontrant tout à tour dirigeants politiques et chefs d'entreprises français, portugais, italiens, belges mais aussi, et surtout, grecs.

Depuis l'arrivée de Cosco en Grèce, les exportations du pays vers la Chine ont augmenté de 50 % en 2011 etPékin ne compte pas s'arrêter là. Le géant souhaiteaccroître ses investissements en Grèce, notamment dans les secteurs des télécommunications, services bancaires, automobile, équipements ferroviaires, immobilier, brasserie, électronique, textile et verre. Mais, au-delà des investissements liés aux difficultés financières d'un pays – dont les banques centrales offrent des emprunts à haut rendement mais risqués – ou des rachats d'entreprises, la Chine veut plus que tout implanter sa production en Europe.

LA RÉPUTATION DU "MADE IN CHINA" EN QUESTION

Le constructeur automobile chinois Great Wall Motors a ouvert mardi 21 février une usine d'assemblage en Bulgarie. "C'est la première usine d'un constructeur automobile chinois qui produira en Europe pour l'Europe", a expliqué à cette occasion un responsable du partenaire bulgare de l'entreprise.

Lire : "Les constructeurs automobiles chinois misent sur l'Europe"

De son côté, si la France n'accueille pas encore de site de production chinois, elle a fait un premier pas dans cette direction avec l'ouverture dans trois ans, près de Châteauroux, d'une zone d'activités franco-chinoise. Pour l'instant, le "Châteauroux Business District" (édition Abonnés) a pour vocation d'assembler des pièces et des sous-ensembles fabriqués à faible coût en Chine. Ce partenariat permettra aux produits de bénéficier d'un label "made in Europe", plus à même de rassurer que le "made in China".

Les auteurs d'un rapport intitulé "L'implantation des firmes chinoises et indiennes en Europe", paru en 2009, soulignent ainsi que ces "firmes doivent surmonter le fait que leurs marques sont peu ou pas connues à l'étranger et construire une image de qualité autour de leurs produits qui soit au moins comparable à celle de leurs concurrents européens ou étrangers présents en Europe. Ils doivent dépasser une image souvent négative qui colle à leurs produits, d'autant que pour les consommateurs européens, bas prix et mauvaise qualité vont souvent de pair".

Un avis partagé par Hervé Solignac Lecomte, directeur du commerce international chez HSBC France. "Les entreprises chinoises veulent contrecarrer l'image 'bas de gamme' de leur production. Pour cela, elles essaient de monter dans la chaîne de valeur, et de relocaliser tout ou partie de leurs produits en Europe", estime-t-il.

Avant de réussir à s'implanter en Europe, les constructeurs automobiles chinois avaient essuyé plusieurs échecs retentissants après des crash tests désastreux. En 2011, un contrat signé par la Pologne et le chinois Covec pour la construction d'une autoroute entre Varsovie et Berlin avait été résilié, un an seulement après le début du chantier : la direction des routes en Pologne avait invoqué des "retards".

"PROXIMITÉ IMMÉDIATE DES VOIES DE DISTRIBUTION"

Entravée dans son développement à l'international, la Chine est donc en train d'opérer un changement de stratégie. Plus question pour elle de se cantonner à son rôle d'"atelier du monde" en se tenant à l'écart des marchés – et des consommateurs – qu'elle souhaite justement conquérir. "Le site bulgare de Great Wall Motors se situe à proximité immédiate de ces clients potentiels et des voies de distribution", souligne à ce titre M. Solignac Lecomte.

En témoigne selon lui la volonté de "Les entreprises chinoises veulent contrecarrer l'image 'bas de gamme' de leur production. Pour cela, elles essaient de monter dans la chaîne de valeur, et de relocaliser tout ou partie de leurs produits en Europe".

"La Chine veut assurer à ses produits des points d'accès multiples au marché européen. C'est une stratégie plus proactive et potentiellement moins chère, surtout avec le prix élevé du pétrole qui augmente considérablement le coût du fret", analyse-t-il. Une logique que suit également la France. "En délocalisant la production de ses voitures low cost au Maroc, Renault se rapproche du port de Tanger, d'où il peut expédier plus facilement sa marchandise vers ses clients des pays du Sud", cite-t-il en exemple.

Mais délocalisation d'usine n'est pas forcément synonyme de délocalisation du pouvoir. "Les sièges des entreprises chinoises sont souvent implantés à Londres, qui est le grand centre financier européen. Mais les prises de décision se font encore en Chine, le système reste centralisé. La référence est toujours la maison-mère chinoise", constate M. Solignac Lecomte. "Nous sommes aujourd'hui dans une phase d'installation des sites de production chinois en Europe, estime-t-il. Je pense qu'à terme, la Chine va implanter en Europe des entreprises plus intégrées et complètes, c'est-à-dire avec le pouvoir décisionnaire en plus de la main-d'œuvre."

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