Gilets jaunes : les pistes du futur arsenal contre les manifestations violentes

Hey, casseur, bats le beurre ! 132
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Crédits : Laurent Bourrelly CC BY 2.0
Loi
Marc Rees

Suite aux débordements de violence en marge des manifestations des gilets jaunes, Édouard Philippe envisage une nouvelle loi pour revoir la régulation de ces réunions publiques. Il a évoqué au journal de TF1 la création d’un fichier des casseurs. Au Sénat, un texte LR a déjà été voté. Il  attend son passage devant les députés.

Pour tenter de répondre à la crise des gilets jaunes, et avant tout aux débordements qui émaillent chaque manifestation, le cap gouvernemental est fixé vers une réponse sécuritaire. Édouard Philippe a annoncé hier soir une future loi pour mettre à jour l’encadrement de ces réunions publiques.

En particulier, les participants à une manifestation non déclarée pourront être poursuivis personnellement, alors qu’aujourd’hui l’infraction ne vise que les organisateurs.

De même, l’actuelle contravention pour dissimulation de visage devrait être élevée au rang de délit, avec donc des peines aggravées. Également annoncée, la volonté de responsabiliser davantage les « casseurs », sur la prise en charge les dommages causes de leur fait (principe dit du « casseur-payeur »).

Surtout, ce projet de loi ne fera pas l’impasse sur le terrain des nouvelles technologies. À l’instar du fichier des hooligans dans les stades – déjà validé par le Conseil constitutionnel – un dispositif similaire est programmé à l’encontre des manifestants violents.

Un fichier des casseurs plébiscité

Aucun détail pour l’instant sur ce fichier, mais la mesure est plébiscitée par une partie des syndicats policiers. Pas plus tard que ce week-end, le syndicat Alliance a réitéré son souhait de voir créé « un fichier des individus violents lors des manifestations ».

Avec un tel instrument, « dès lors que les faits sont établis », un mandat de dépôt permettrait « que l'individu aille directement en prison à la sortie du jugement avec des peines non aménageables », a suggéré Frédéric Lagache, secrétaire général du mouvement. « Lorsqu'on dit qu'il faut faire preuve de fermeté, il faut que les intentions soient suivies de faits ». 

Le Code de la sécurité intérieure permet déjà au juge d’interdire à une personne reconnue déjà coupable, une peine « complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique ».

Seulement, ce ne peut être que dans des cadres très définis (violence ayant entraîné la mort, une infirmité permanente, ou avec incapacité totale de travail). De plus, le juge doit fixer par avance la liste des lieux, ce pour une durée ne pouvant excéder trois ans. 

Un fichier des casseurs critiqué

Le Syndicat France Police - Policiers en colère ne partage pas les mêmes vues qu’Alliance. « Attention danger ! Demain, tous les Gilets jaunes, y compris pacifiques, pourraient bien être fichés » écrit-il dans un communiqué.

Selon lui, il y aurait un risque de dérive démocratique : « Dès lors qu’un individu parmi une foule de manifestants lancera un projectile en direction de nos collègues, l’autorité administrative pourra ordonner l’interpellation de tout le monde dans le périmètre pour tenter d’identifier l’auteur des faits et ainsi en profiter pour ficher l’ensemble des Gilets jaunes arrêtés ».

Il doute aussi de son efficacité : « Les terroristes sont fichés S (sûreté). Cela les empêche-t-il d’aller tranquillement commettre leur attentat ? Ce fichier réclamé par les suppôts de la macronie n’apportera rien sur le plan de la sécurité mais permettra uniquement au pouvoir en place de ficher ses opposants politiques ».

Un texte déjà voté au Sénat, en attente de validation par les députés

Après les propos du premier ministre, des parlementaires ont surtout rappelé le vote le 23 octobre dernier d’une proposition de loi portée par le sénateur Bruno Retailleau.

L’élu LR veut autoriser les préfets, dans un arrêté motivé, à pouvoir « interdire de prendre part à une manifestation déclarée ou dont il a connaissance à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».

Il faudrait en outre que les personnes concernées aient été préalablement condamnées pour des faits de violences, ou bien simplement parce qu’elles entrent en relation « de manière régulière avec des individus incitant, facilitant ou participant à la commission de ces mêmes faits ». Cette dernière condition devrait faciliter les inscriptions à tour de bras.

Toujours dans cette proposition LR, les individus épinglés pourraient avoir à pointer auprès d’un commissariat, au moment même de la manifestation.

Ces mesures seraient épaulées par un fichier de données à caractère personnel, « afin d’assurer le suivi, au niveau national, des personnes faisant l’objet d’une interdiction de participer à une manifestation sur la voie publique ».

Un suivi au niveau national implique la création d’un fichier centralisé. La commission des lois au Sénat a justifié cette centralisation. « Une mise en œuvre déconcentrée de ce fichier, au niveau de chaque département, pourrait se révéler contre-productive, explique son rapport. Cela impliquerait en effet la coexistence de plusieurs fichiers départementaux qui, s’ils ne communiquent pas entre eux, ne permettront pas d’assurer un contrôle effectif des personnes faisant l’objet d’une interdiction de manifester, dans l’hypothèse, par exemple, où une personne participerait à une manifestation en dehors de son département de résidence. »

Ce fichier serait cependant accessible à l’ensemble des préfets.

Un texte qui n’a qu’à être voté par les députés LREM

De fait, cette proposition de loi, non encore inscrite à l’agenda de l’Assemblée nationale, n’aurait qu’à être adoptée dans les mêmes formes par les députés LREM pour éviter au gouvernement le dépôt d’un projet de loi.

Un projet de loi a toujours le mérite politique de témoigner de la volonté d’un gouvernement de faire ce qu’il dit et de dire ce qu’il fait, mais cette option est plus longue, en ce qu’elle exige un avis du Conseil d’État et une étude d’impact.

Fait notable, la proposition LR prévoit toutes les mesures annoncées par le premier ministre : outre le fichier répertoriant les mesures d’interdiction administrative et judiciaire de manifester, il crée – ô surprise – un délit de dissimulation du visage dans une manifestation.

Le fait pour une personne, « au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement, totalement ou partiellement, son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public » serait dès lors puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. L’actuelle contravention n’est « que » de 1 500 euros actuellement.

Pour éviter de sanctionner notamment les participants à un carnaval, ce délit serait inapplicable « aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime », afin de laisser cette fois une marge d’appréciation au juge.

Autre écho aux propos du premier ministre, l’article 7 responsabilise civilement les casseurs pour les dommages causés lors d’une manifestation : « L’État peut exercer une action récursoire contre les personnes ayant participé à tout attroupement ou rassemblement armé ou non armé, lorsque leur responsabilité pénale a été reconnue par une décision de condamnation devenue définitive. »

Bref, l’arsenal législatif est là. Ne reste plus qu’aux députés LREM à l’adopter pour le rendre applicable.

Assemblée nationale
Crédits : Marc Rees

Un fichier des casseurs depuis 2009

Remarquons que le fichier des manifestants casseurs ne serait pas le premier du genre. Un décret du 16 octobre 2009 a instauré le fichier relatif à la prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP),  codifié depuis 2014 aux articles R.236-11 à R.236-20 du Code de la sécurité intérieure.

Il a pour finalité « de recueillir, de conserver et d'analyser les informations qui concernent des personnes dont l'activité individuelle ou collective indique qu'elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique ».

Ce traitement automatisé catalogue aussi bien les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes que celles susceptibles « d'être impliquées dans des actions de violence collectives, en particulier en milieu urbain ou à l'occasion de manifestations sportives ».

On trouve dans cette base utile aux services du renseignement d’abord les motifs de l’enregistrement. Selon ce rapport de juillet 2018, prévu par le Code de la sécurité intérieur, cela peut viser la participation à des actions de manifestations illégales ou des appels à la violence à l’occasion de rassemblements.

Autres motifs, « des dévoiements de la liberté d’expression, d'opinion ou de religion portant atteinte à l'ordre public, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l'intégrité des personnes, accompagnés d’agressions, stigmatisations ou profanations envers telle ou telle communauté particulière », des faits de violences en bandes, et enfin des menaces sur les institutions républicaines.

Une multitude d’autres entrées sont programmées dans cette base conservée durant 10 ans :  

  • État civil, nationalité et profession,
  • Adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques,
  • Origine géographique (lieu de naissance, lieux de résidence et zones d'activité) ; 
  • Signes physiques particuliers et objectifs, photographies ; 
  • Titres d'identité
  • Immatriculation des véhicules
  • Informations patrimoniales
  • Activités publiques, comportement et déplacements
  • Agissements susceptibles de recevoir une qualification pénale

S’y ajoutent la liste des « personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l'intéressé. » 

Selon, l’article R236-13, on peut également y retrouver « des signes physiques particuliers et objectifs comme éléments de signalement des personnes » mais également les activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales des concernés. 

Ce fichier peut même stocker des informations sur les mineurs d’au moins 13 ans, simplement elles sont alors enregistrées pour 3 ans au lieu de 10. Selon le rapport précité, le PSAP comportait, en septembre 2017, 43 446 personnes dont 2 759 mineurs.


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