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    Tribune

    La SNCF réinvente la 3e classe

    Par Laurent Quessette , Juriste, spécialiste du transport ferroviaire
    Un TGV low cost de la SNCF «Ouigo», le 19 février 2013 à la gare de Lyon à Paris.
    Un TGV low cost de la SNCF «Ouigo», le 19 février 2013 à la gare de Lyon à Paris. Photo Jacques Demarthon. AFP

    Mon oncle cheminot me racontait, ému, les banquettes en bois de feu la troisième classe à l’époque révolue où des trains de la «CNCF», comme disaient les anciens en déchiffrant le logo de leur compagnie, parcouraient encore pratiquement l’ensemble de nos campagnes et de nos villes. L’odeur du saucisson à l’ail et des œufs durs, le kil de rouge posé à même le plancher de la voiture, les conversations fortes et partagées. Ne supportant pas les conversations chuchotées dans le compartiment IDzen ni l’odeur du jambon-beurre fraîchement désaluminé, je ne m’imaginais pas à cette époque acquiescer aux opinions sur les bienfaits de telle micheline électrique comparée à telle autre roulant au diesel de la part d’un cheminot bénéficiant d’une gratuité de circulation, assis sur un siège collectif en bois, ni partager des cachous Lajaunie… «Lajoinie», diraient en 1988 les syndicalistes du rail ! Je préfère contempler la micheline au centre Pompidou sur les photos de Doisneau, trouvant magnifique le départ des premiers congés payés et, nostalgique, regrettant même le charme désuet du chemin de fer à vapeur, célébrant, par ses sifflets, la lenteur du voyage. Ces pensées ne sont, certes, pas en correspondance - sans jeu de mot ferroviaire - avec ma pratique du train : je préfère le confort plus spacieux du compartiment de 1re (quand ses tarifs soldés me le permettent), serais plutôt favorable à des compartiments réservés pour les voyageurs avec de jeunes enfants et trouve insupportable dix minutes de retard après un trajet de trois heures pour traverser la France du Nord au Sud à près de 300 kilomètres par heure. Devant me rendre au dernier moment de Paris à Nîmes pour un événement familial, mon penchant pour la distinction sociale s’effaça et retrouva des couleurs plus rouges en faveur de la défense du service public et de l’égalité tarifaire : une centaine d’euros l’aller et retour ! Le cadeau pour l’anniversaire du cousin en serait diminué d’autant. Membre d’un groupe de recherche sur le ferroviaire et ayant d’ailleurs colloqué sur les mutations du transport ferroviaire à l’heure du yield management, j’oubliais les précautions du langage CNRisé des participants (dont les contingences matérielles dudit trajet en 2e classe - pour cause de restriction budgétaire - avaient certainement été prises en charge par l’administration universitaire) pour m’exclamer : «Ils font chier !» 

    Las, le trajet le moins cher était de faire un détour par Marne-la-Vallée pour rejoindre la gare TGV de Disney et emprunter le Ouigo, le train à grande vitesse low-cost de la SNCF. Finalement, ce pouvait être une expérience qualifiante en tant qu’apprenti sociologue de la chose ferroviaire. Et puis, rien ne vaut le terrain ! L’organisation scientifique du tourisme de masse pour le parc d’attraction a été dupliquée pour la gestion des flux empruntant ce nouveau type de TGV. En voici le protocole : arrivée au moins trente minutes en avance pour le contrôle scanné des billets, longue file d’attente devant s’entasser au 1er étage, peu de bancs, distributeurs de sucreries, machine à café à un tarif high-cost, des jouets en vente fabriqués certainement par des enfants pour des enfants, des revues et des livres du romancier sponsorisé par la compagnie de transport… bref, la lose au pays de Mickey ! Le roulement continu des valises annonce le départ. Bientôt votre tour et, moyennant 50 centimes, vous pourrez effectuer une pause technique avant de monter à bord. Réticent à payer un service qui me semble être de droit dans tout lieu public, je l’ai pourtant fait, imaginant à tort, je l’avoue, que le train en serait dépourvu. Une fois dans la rame, c’est là que tout commence. Vous constaterez que, si votre siège est confortable avec assez d’espace, en revanche, la voiture est bien remplie. Vous pourrez même faire connaissance avec votre voisin de dos puisque l’écartement entre votre siège et celui de votre voisin est conséquent. Loi mathématique de l’entassement, le bruit : conversations, odeurs de repas, bébés qui pleurent, enfants qui jouent, voire qui courent dans le couloir. Ne cherchez pas un endroit calme, c’est impossible. La maximisation de l’espace aboutit à la suppression du wagon-bar. Poursuivant une scrutation sociologisante du lieu (ou de ce non-lieu, les spécialistes académiques apprécieront), force est de constater que les usagers ou les clients (selon que vous estimez que ce type de train est un service public ou non) se situent davantage dans les premiers déciles du tableau de l’Insee relatifs à la répartition des revenus de la population française (disponible sur le site de l’institution). Et c’est là que le bât m’a blessé : attaché à un certain confort mais à condition qu’il puisse être accessible pour tous, pourquoi le populo ne pourrait-il dorénavant voyager à grande vitesse que sur Ouigo et donc que sur certaines destinations ? Le TGV classique, sauf les ID-TGV mais à condition de pouvoir réserver bien en avance, devient, en effet, inaccessible pour les moins riches. Avec le retour de la 3e classe, les pauvres pourront ainsi aller voir la mer, mais avec deux petits bagages seulement ; il ne s’agirait pas que ces bougres nous salopent le modèle économique du low-cost en surchargeant la rame de leurs sacs en plastique Tati ! Sans argent, aimant voyager, détestant le train surchargé, soyez patients, les bus encore moins chers mais plus lents arrivent…

    De retour à Paris, après un week-end alcoolisé, l’observation participante allait s’achever. Une voix au microphone eut l’amabilité d’annoncer que le RER A était bloqué suite à un accident grave de voyageur.

    Laurent Quessette Juriste, spécialiste du transport ferroviaire
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