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    SNCF

    Le crépuscule des trains de nuit

    Par Marie Piquemal
    Voyage sur l’ancienne ligne Paris-Portbou, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2015. 
    Voyage sur l’ancienne ligne Paris-Portbou, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2015.  Photos Rémy Artiges

    Rencontre avec des voyageurs attristés et pénalisés par la suppression de la plupart des trains de nuit, décidée par l’exécutif. Une mobilisation a lieu ce samedi à Perpignan.

    Point de ralliement : 7 h 12 ce samedi en gare de Perpignan. Avec café, croissants voire chocolatines pour accueillir les voyageurs qui descendront, la gueule enfarinée, du train de nuit. A vrai dire, ils espèrent que les élus locaux feront l’effort de venir à ce petit-déjeuner de mobilisation. «Nous aimerions qu’ils se rendent compte, qu’ils prennent conscience de ce qui se joue. Je crois que nos décideurs ne mesurent pas combien le train de nuit est important dans la vie des gens et la grande diversité des personnes qui l’utilisent.» Claire Brun, prof à Perpignan, parle d’une voix douce mais convaincue. Avec une poignée d’usagers à la fibre écolo, elle tente depuis le mois d’avril d’organiser la rébellion contre «une décision absurde, dont la logique nous dépasse».

    Subventionnement

    Le gouvernement a en effet décidé de se désengager de la quasi-totalité des trains de nuit. Faute de repreneurs, ces trains sont condamnés à disparaître. Et la direction de la SNCF décline toute responsabilité. «Les Intercités de jour et de nuit [tous les trains, hors lignes à grande vitesse (LGV) et régionales (TER), ndlr] sont de l’entière compétence de l’Etat, financeur et décisionnaire. Nous, SNCF, ne sommes que l’exécutant.»

    Alain Vidalies, le secrétaire d’Etat aux Transports, a plusieurs fois justifié : «L’offre de trains de nuit ne répond plus de manière satisfaisante aux besoins des voyageurs, ce qui nous a amenés à revoir l’offre.» Il répète en boucle deux chiffres, comme des coups de massue : «La fréquentation est en baisse de 25 % depuis 2011. Chaque billet de train de nuit vendu nécessite plus de 100 euros de subventionnement public en moyenne.» Pas rentable, donc, circulez.

    Seules deux lignes sont conservées : Paris-Briançon et Paris-Rodez ou Latour-de-Carol (voir carte), parce qu’«aucune autre alternative suffisante n’existe pour les territoires concernés». Comprendre : pas de LGV à proximité. Ce raisonnement fait enrager le collectif d’usagers du train Paris-Cerbère, qui se réunit ce samedi. «On s’enferme dans cette idée que le rail n’a qu’un seul modèle viable : le TGV. C’est tout de même ahurissant ! Le train de nuit et le TGV représentent deux utilisations qui n’ont rien à voir.»

    COP 21

    Les usagers ont rédigé un argumentaire «le plus solide possible» : le train de nuit est écolo, le train de nuit est européen, le train de nuit a du potentiel… Ils l’ont envoyé «autant qu’on a pu, à tous les élus, représentants associatifs…», concentrant leurs forces sur leur région, l’Occitanie (fusion de Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon). Mais le collectif dit se battre pour toutes les lignes. Vendredi, leur pétition «Oui au train de nuit» dépassait tout juste les 7 000 signataires sur Change.org.

    «C’est difficile, reconnaît Claire Brun. On est très surpris du silence, qui ressemble à de l’indifférence. On ne se bat pas pour le folklore mais contre une régression. Je ne veux pas croire que l’avenir, c’est le car Macron, surtout au lendemain de la COP 21 !» Le collectif espère encore sauver Paris-Cerbère. La ligne «devait s’arrêter le 1er juillet, puis le 1er octobre. En fait, elle est toujours là… On n’y comprend plus rien.» Interrogé, l’entourage de Vidalies indique qu’«un travail est en cours entre la région et la SNCF». Le secrétaire d’Etat devrait s’exprimer à la fin du mois.

     Paris Austerlitz-Portbou Espagne, nuit du 6 au 7 juillet 2015. Train intercités de nuit 3733.
COMMANDE N° 2015-0917
ACCORDWEB

    Photo Rémy Artiges

    «Chaque voyage est un souvenir»

    Bernard Descreux, 53 ans

    «Je suis un grand amoureux des trains de nuit. La première fois, avec mes parents et mes cinq frères et sœurs, je devais avoir 10 ans. Depuis, je l’utilise dès que je peux. J’ai fait plein de trajets différents, dans tous les sens : Paris-Perpignan, Biarritz-Paris, Paris-Venise, Paris-Berlin à l’époque du Mur…

    «Chaque voyage est un souvenir. Il y a une ambiance particulière, une sorte de complicité entre voyageurs. Comme si on appartenait à une race à part, de ceux qui aiment prendre le temps pour se déplacer. Le train de nuit, c’est le slow travelling. Ce que j’adorais par-dessus tout, c’était le service moto-couchette. Je dormais dans le train et un quart d’heure après l’arrivée, je récupérais ma moto. Il existait aussi l’auto-couchette. Et la Compagnie des wagons-lits : on payait un peu plus cher mais c’était très commode. Combien de fois avec ce service j’ai envoyé mes enfants passer les vacances chez leurs grands-parents ? Ils étaient surveillés, ils ne risquaient rien. C’était extrêmement pratique. Petit à petit, tous ces services ont disparu, les uns après les autres. C’est dommage. Surtout que la France a la dimension parfaite pour le train de nuit. On peut la traverser dans tous les sens le temps d’une nuit.»

    «Je vais limiter mes déplacements»

    Jean-Marie Gorieu, 50 ans

    «Pour moi, le train de nuit, c’est d’abord un gain de temps. Il n’y a pas plus efficace comme mode de transport. Comme me disait un contrôleur l’autre soir, en une heure vous êtes à Paris : trente minutes pour vous endormir, trente minutes pour vous réveiller. Je vis à Perpignan, mais je suis amené à me rendre régulièrement à la capitale pour participer à des réunions professionnelles. L’avion, j’ai chronométré : le temps de me rendre à l’aéroport puis de rejoindre le cœur de ville, j’en ai pour quatre heures. Ce qui veut dire une demi-journée de travail perdue à l’aller, pareil pour le retour, et une nuit d’hôtel. Ce n’est plus la même histoire. Et je ne parle même pas du coût - vous trouvez difficilement un hôtel à moins de 100 euros dans Paris. Forcément, avec la suppression du train de nuit, je vais limiter mes déplacements, je ne monterai que quand je ne pourrai pas faire autrement. Beaucoup d’usagers feront le même arbitrage.

    «Notre région Occitanie sera moins représentée dans les instances de décision… Beaucoup de choses se passent et se décident à Paris. Parce qu’au fond, ces trains de nuit, ils permettaient de rendre accessible le centre de décision aux Français éloignés géographiquement. D’ailleurs, leur nom officiel, c’est «trains d’équilibre du territoire», les mots ont leur sens ! Le profil des usagers est extrêmement divers : il y a des personnes comme moi qui l’utilisent pour le travail, des familles aussi, beaucoup. Des étudiants, des militaires. Ou cette dame que j’ai croisée, qui doit se rendre à Paris régulièrement pour des examens médicaux. Le train de nuit était la solution la moins fatigante.»

    «J’ai découvert ce trajet sur un site allemand !»

    Etienne Braud, 27 ans

    «Ma famille vit à Angers. Je suis venu dans le Sud pour faire mes études, puis j’y suis resté pour mon travail. Je n’aurais pas fait ce choix s’il n’y avait pas eu le train de nuit. C’est le seul moyen de rentrer voir ma famille sur un week-end. Je prends le train à 21 heures à Perpignan, j’arrive à 5 h 40 à Vierzon. Puis je monte dans un TER jusqu’à Tours et dans un autre pour Angers. J’arrive à 8 h 58 le samedi, je ne peux pas faire plus court. J’ai mis du temps à trouver cette option : la SNCF ne le propose pas au guichet ou sur le site, il faut connaître, prendre parfois deux billets séparés. J’ai découvert ce trajet sur le site des transports ferroviaires allemand, un comble ! En Allemagne, le train de nuit est mis en avant, notamment pour promouvoir le tourisme.

    «Il est très utilisé par les adeptes du vélo : c’est l’un des seuls trains, avec quelques Intercités de jour, où l’on peut voyager avec son vélo. Dans les TGV, il faut le démonter entièrement… L’argument de la rentabilité que l’on nous sort me met hors de moi. Il y a plein de choses que l’on continue de faire alors qu’elles ne sont pas rentables. Les routes peu fréquentées, on continue de les entretenir ! C’est un choix politique.»

    «Les touristes parisiens ne peuvent plus venir pour un week-end prolongé»

    Isabelle Aronowicz, 56 ans 

    «Ah, le train de nuit… Un vieux souvenir chez nous. Notre ligne Toulouse-Paris via Figeac a été supprimée il y a plusieurs années maintenant. Ça s’est fait de façon insidieuse, progressivement. Quand les touristes se rendaient dans l’après-midi à la gare de notre village, à Najac [dans l’Aveyron], on leur répondait qu’il fallait attendre le lendemain, qu’aucun train ne partait… Sans proposer le train de nuit, pourtant présent tous les soirs ! Forcément, la fréquentation a baissé. Quand nous avons essayé de protester contre sa suppression, on nous a rétorqué : «Plus personne n’utilise ce train, on arrête.» Que répondre ?

    «Notre ligne était très ancienne, en service depuis 1858 pour exploiter les richesses de notre vallée : le cuivre, l’argent, le charbon. Aujourd’hui, jamais le TGV ne traversera nos gorges de l’Aveyron. Trop compliqué. La disparition de cette ligne a des conséquences dans la vie locale, bien sûr. On se prive d’une partie des touristes, j’en suis convaincue. Même si c’est difficile à quantifier. Les campagnes de communication sur les richesses culturelles de notre région permettent de compenser un peu. Mais il est clair que les touristes ne peuvent plus venir pour un week-end prolongé. En voiture, il faut six à sept heures pour regagner Paris. En train, une journée de huit heures. En avion, il faut aller jusqu’à Toulouse. Pas simple.»

    Marie Piquemal
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