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    Paris

    Rénovation de la gare du Nord : la voie n’est pas libre

    Par Sibylle Vincendon
    A la gare du Nord, ici en 2009, les commerces se multiplient depuis des années. 
    A la gare du Nord, ici en 2009, les commerces se multiplient depuis des années.  Photo Christophe Maout

    Le projet de transformation du site parisien a été mis à mal dans une tribune qui pointe la multiplication des commerces et l’allongement des parcours que cela entraînerait pour les usagers. De quoi affaiblir le dossier piloté par la SNCF et Auchan avant son passage, décisif, en Commission nationale ?

    Pierre Veltz, sociologue, Grand Prix de l’urbanisme 2017 et cosignataire avec une vingtaine d’autres sommités d’une tribune contre le projet de réaménagement de la gare du Nord à Paris, parue dans le Monde le 4 septembre, en avait-il mesuré les suites ? «Je ne m’attendais pas à un tel écho», reconnaît-il. Mais il l’admet : «Nous avons envoyé un scud qui a fait des dégâts.» C’est peu dire.

    Dans ce texte intitulé «Le projet de transformation de la gare du Nord est inacceptable», des architectes, des urbanistes et des historiens, dont beaucoup de médaillés, exigent que le schéma soit «repensé de fond en comble». La diatribe commence sec. «La SNCF, associée à Auchan (via sa filiale Ceetrus), publie depuis quelques mois des dessins et des discours lénifiants sur son projet de transformation de la gare du Nord.» Elle poursuit en dénonçant une «grave offense aux usagers du transport» qui méritent «un lieu et un moment d’échanges aussi confortables que possible, dans des parcours quotidiens souvent harassants. Obliger des centaines de milliers de personnes à traverser des espaces commerciaux devient insupportable lorsque ce cadeau au commerce se paie de parcours allongés et inutilement compliqués».

    Car, assurent les signataires, «le projet prévoit d’interdire l’accès direct aux quais tel qu’il se pratique aujourd’hui. Qu’il aille à Soissons (Aisne) ou à Bruxelles, le voyageur devra d’abord monter à 6 mètres de hauteur dans le centre commercial, tout à l’est de la gare, puis accéder aux quais par des passerelles, des escaliers et des ascenseurs. Cela veut dire : plus de distance à parcourir, des temps d’accès nettement augmentés». En un mot : «Indécent.»

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    Un scud en effet, avec un tir finement ajusté. Devoir monter puis descendre pour prendre un train dans une gare dont toutes les voies sont accessibles depuis le parvis paraît stupide. L’alliance entre SNCF Gares & Connexions et un géant de la grande distribution, choquante. Bref, même si le ton est très polémique (ou grâce à cela ?), un texte de ce style est redoutablement efficace. Jusqu’à empêcher le futur chantier ?

    Le 27 juillet, le projet avait déjà rencontré un obstacle. La Commission départementale d’aménagement commercial (Cdac) avait rendu un avis défavorable, voté grâce à l’abstention des représentants de la municipalité. La Ville, en fait, n’a guère d’autres moyens d’action : dans les grandes gares de Paris, sa responsabilité s’arrête au trottoir. L’Etat est maître chez lui et d’ailleurs, c’est lui qui délivre le permis de construire. Mais vu qu’il faut des bus, des taxis, des VTC, des emplacements deux-roues et vélos, tout s’imbrique.

    Martingale

    On ne fait rien contre un maire, disent les aménageurs, et c’est vrai. Anne Hidalgo serait-elle contre le réaménagement de la gare du Nord ? Pas si simple. En 2015, la maire de Paris était enthousiaste. Aujourd’hui, elle n’aurait qu’une seule préoccupation : «Elle veut une gare nickel pour les JO de 2024», assure une source proche du dossier. Le passage en Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac), prévu en novembre, s’annonce décisif. «Si la Commission dit non, le projet tombe», complète cette même source. L’organisme n’est pas une chambre d’enregistrement : en 2018, 40 % de ses avis ont été négatifs.

    Depuis 2015, la SNCF veut adapter Paris-Nord à la croissance du trafic. La première gare d’Europe accueille 700 000 voyageurs quotidiens - 900 000 sont prévus en 2030. Et pour le financement, l’entreprise publique a une martingale : elle allège ses dépenses en cédant des espaces commerciaux. Gares & Connexions n’investit rien, c’est une foncière spécialisée qui s’en charge et, cerise sur le gâteau, lui reverse une partie du résultat. En 2012, pour la gare de Paris-Saint-Lazare, Klépierre avait récupéré sa mise en un an. Exceptionnel. Ouvrir des magasins sur des flux de voyageurs s’avère magique. La SNCF se voit ainsi accusée de prendre un virage mercantile indigne du service public mais vu les chiffres, elle fait le dos rond et récidive à Montparnasse (avec Altaréa).

    En 2018, à l’issue d’un concours, la filiale immobilière du groupe Auchan, aujourd’hui Ceetrus, emporte le réaménagement de la gare du Nord avec le cabinet d’architecture Valode et Pistre. Fait nouveau, le rapport de force entre l’exploitant de la gare et le marchand s’inverse. Dans la société d’économie mixte à opération unique que montent les deux partenaires, Ceetrus est majoritaire, avec 66 % du capital. Pourquoi ? Peut-être parce que le groupe paie la totalité des 600 millions d’euros du chantier, soit 60 000 nouveaux mètres carrés qui viennent s’ajouter aux 35 000 de la gare actuelle. 

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    Dans une contre-tribune publiée par le Monde, le directeur général de SNCF Gares & Connexions, Claude Solard, explique : «Les équipements publics de la gare au service des voyageurs d’Eurostar, Thalys, TGV, TER, Transilien, seront entièrement financés au travers d’un partenariat public-privé avec le groupe Ceetrus (holding Auchan) sans privatisation. Ainsi, ces équipements (doublement des surfaces et du nombre d’escaliers mécaniques) sont réalisés sans augmenter les tarifs des billets de train et sans alourdir les impôts de nos concitoyens.»

    La réponse est surprenante. Même si on laisse de côté la «privatisation» (terme qui laisse penser que c’était une option), et l’absence de répercussion sur le prix des billets, qui induit que leur tarif aurait pu contribuer à bâtir des murs de boutique, on comprend que Ceetrus a pris les manettes pour que le voyageur ait davantage d’escaliers mécaniques et d’ascenseurs. Tout ça pour ça ?

    Porte-monnaie

    Dans une gare terminus, les départs sont le plus souvent à gauche et les arrivées à droite, les flots de voyageurs suivant cette géométrie. Dans le hall principal de la gare du Nord, où les gens se croisent serrés-collés, la SNCF veut séparer les flux : les arrivées au rez-de-chaussée, les départs au premier étage. «On voit bien qu’il y a un conflit entre les départs et les arrivées», justifie l’architecte du projet, Denis Valode. Pour l’ancien architecte de la SNCF, Jean-Marie Duthilleul, qui réaménagea la gare en 2001, la fluidité existerait «si l’on n’avait pas multiplié les kiosques de vente dans un espace de 20 mètres de large que nous avions prévu vide». Au regard des recettes que génèrent ces édicules, Gares & Connexions ne semble pas près de les démonter. Plutôt que de faire du ménage pour mettre fin aux télescopages, elle préfère gérer les départs autrement. Suivez le guide.

    Vue d’artiste du projet de rénovation de la gare. Valode & Pistre architectes

    Contournez la façade historique jusqu’à son côté droit. Là, entrez dans la galerie vitrée qui longe le bâtiment (et la voie 36), montez au premier étage, empruntez l’une des trois passerelles qui enjambent les voies, redescendez sur le quai. Si le Thalys 9351 pour Amsterdam Central est en voie 7, ça fait une trotte. Le cahier de la concertation conseille d’«alerter les voyageurs sur les délais supplémentaires pour rejoindre leur train».

    «La plupart des voyageurs arrivent par le métro, plaide Denis Valode. Qu’ils montent 5 mètres de plus ne fait pas une grande différence…» Après tout, dans la plupart des gares françaises, on accède aux quais par des souterrains. «Je trouve plus agréable de passer par-dessus. Nous avons travaillé le dessin des passerelles pour qu’elles soient les plus fines possible», ajoute l’architecte, qui souligne que ces constructions seront à 5 mètres de haut sous une verrière qui culmine à 30. Mais quand même, il tient à préciser : «Ce n’est pas nous qui avons décidé de différencier les départs et arrivées. C’était dans le cahier des charges (écrit pas Gares & Connexions).»

    On se tromperait de méchant ? Dans cette transformation de la gare du Nord, «un grand principe est arrêté. On copie l’aéroport en dissociant les flux, d’un côté les départs, de l’autre les arrivées», écrit le mensuel Ville, rail et transports. L’implantation massive de commerces est «l’autre grande idée venue de l’aéroport». Faudra-t-il alors, comme l’écrivent les signataires de la tribune, «traverser des espaces com merciaux» avant d’accéder au train ? Denis Valode tempère : «Il y aura du commerce aux niveaux 0 et 1 [là où l’on passera pour aller vers les trains, ndlr] mais il y en aura davantage à partir du niveau 2.» Vraiment ? Ceetrus, filiale du groupe Auchan qui a enregistré en 2018 les premières pertes de son histoire avec un trou d’un milliard d’euros, placerait ses boutiques au-dessus des voyageurs, bien à l’abri de l’argent ? L’architecte veut croire qu’avec les 25 000 m2 de bureaux, les espaces de coworking, la salle de spectacles ou encore les 11 000 m2 de toiture plantée, les commerces ne vivront pas sur le seul porte-monnaie des voyageurs.

    Sans doute la malchance de Denis Valode est-elle de développer ce projet au moment où la SNCF multiplie les initiatives qui pourrissent la vie des gens : suppression des guichets, Internet obligatoire, portiques partout, billets nominatifs pour les TER, tickets de quai comme dans les années 60. Sans compter les tarifs incompréhensibles, les fermetures de lignes, la fin des trains de nuit… Mais dans un projet architectural mal ficelé, qui est le fautif ? Celui qui a passé la commande ou celui qui l’a acceptée ?

    Sibylle Vincendon
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