« Les étudiants français ont l’impression d’être dans un TGV pendant leurs études »

Les études et l’insertion sur le marché du travail s’effectuent dans une logique d’urgence en France, contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni ou en Suède, explique le sociologue Nicolas Charles.

Propos recueillis par Publié le 03 juin 2016 à 11h55 - Mis à jour le 06 juin 2016 à 13h31

Temps de Lecture 3 min.

Etudiants de l’Université catholique de Lyon, en septembre 2015.
Etudiants de l’Université catholique de Lyon, en septembre 2015. JEFF PACHOUD / AFP

Le sociologue Nicolas Charles a comparé l’expérience vécue par les étudiants en France, en Suède et au Royaume-Uni, dans son ouvrage Enseignement supérieur et justice sociale. Sociologie des expériences étudiantes en Europe (La Documentation française, 2015). Entretien.

Vous soulignez, dans votre livre, que les étudiants français utilisent la métaphore du TGV pour parler de leurs études. Pourquoi ce sentiment d’urgence ?

Nicolas Charles. Deux étudiants interrogés ont fait part de cette métaphore du TGV au cours de mon travail de thèse. Les étudiants français ont des parcours normés socialement. On étudie si possible sans s’arrêter, si possible à temps plein et en limitant toute autre activité sociale, et si possible dans une logique disciplinaire. Ça ne veut pas dire que tous les étudiants français suivent cette logique, mais c’est une norme qui s’impose aux individus.

Ce qui est intéressant dans la comparaison avec la Suède et le Royaume-Uni, c’est que ces deux pays ont en commun l’idée qu’un étudiant construit lui-même son parcours. En Suède la norme veut que le parcours d’étude soit très individualisé et qu’un étudiant puisse s’arrêter temporairement, deux mois, six mois ou plus : c’est l’individu qui pilote sa formation comme sa vie personnelle.

Le système français est défavorable aux formes non traditionnelles d’études. Les établissements attendent que les étudiants soient présents aux enseignements et le travail salarié est encore vu comme une activité secondaire. Les étudiants français vivent leurs études puis leur insertion dans une logique d’urgence. Mais ils savent qu’ils n’ont guère le choix : s’ils arrivent trop tard sur le marché du travail cela les desservira, car les recruteurs valorisent toujours le diplôme initial.

Vous dites que les étudiants suédois et britanniques sont plus autonomes. Comment cela s’explique-t-il ? Cette autonomie est-elle choisie ou subie ?

Au Royaume-Uni, traditionnellement, c’est la norme d’émancipation, notamment financière, qui prévaut. L’étudiant part de sa ville natale pour faire des études le plus loin possible de chez lui et doit s’assumer financièrement. Avec l’augmentation des frais de scolarité des universités (près de 10 000 euros par an), la donne a changé : désormais les étudiants habitent plus fréquemment chez leurs parents, tout en continuant une activité salariée.

Les étudiants suédois, eux, n’ont pas plus ce sentiment d’urgence. En réalité il n’y a qu’en France qu’on parle d’insertion professionnelle après les études. En Suède, les étudiants finissent en moyenne leurs études à l’âge de 27 ans, âge auquel ils ont déjà travaillé, voyagé et construit une vie de famille. Bref, ils sont déjà « insérés » et cela s’est fait très progressivement.

Que pensez-vous de l’incitation à développer l’année de césure annoncée par François Hollande en 2015 ?

L’Etat essaie de mettre de l’autonomie dans un système normé. En réalité, c’est le mot « année » qui est important dans l’expression année de césure, car on cale cette année de césure sur l’année universitaire. En Suède, on peut faire plusieurs césures ; une césure peut durer six mois, un an, deux ans et demi, elle peut aussi commencer au mois de janvier. D’ailleurs, un étudiant peut commencer ses études au second semestre et s’arrêter tous les six mois s’il le souhaite.

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En France, l’étudiant qui arrête ses études a peu de chances de les reprendre. S’arrêter temporairement est perçu comme très risqué, car le diplôme initial a une très grande importance.

Quelles sont les pistes pour éviter cette logique d’urgence après bac ?

L’année sabbatique entre le bac et les études supérieures est une piste. On peut imaginer que sur la plate-forme admission postbac (APB), les lycéens fassent leurs vœux d’orientation et qu’une fois admis et inscrits dans l’enseignement supérieur, ils puissent avoir l’option de reporter leur entrée tout en ayant une place garantie, comme c’est le cas au Royaume-Uni.

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Enseignement supérieur et justice sociale. Sociologie des expériences étudiantes en Europe sociologie des expériences étudiantes en Europe, de Nicolas Charles et François Dubet (La Documentation française, 2015, 200 p., 23 euros).

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