Navigation – Plan du site Genre, sexualité & société • fr • en Accueil > Numéros > 20 > Articles > De la jeunesse sexuelle à la sexu... [Recherche ] Chercher Sommaire - Document précédent 20 | Automne 2018 : Varia Articles De la jeunesse sexuelle à la sexualité conjugale, des femmes en retrait L’expérience de jeunes couples From Sexual Youth to Conjugal Sexuality, Women in the Background. The Experience of Young Couples Emmanuelle Santelli Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur Résumés Français English Partant d’une enquête empirique réalisée en 2016 auprès d’une quarantaine de jeunes adultes en « couple stable », l’objet de cet article est de tenter de comprendre comment, en l’espace de quelques années, une majorité de femmes semblent passer d’une phase où elles ont « profité de leur jeunesse » à celle d’un relatif désintérêt pour la sexualité conjugale hétérosexuelle. Alors que, comme jamais auparavant, les jeunes femmes ont pu vivre plusieurs expériences sexuelles et amoureuses, une fois en couple, on note une divergence d’attentes à l’égard de la sexualité. Elle est expliquée par des « besoins » masculins jugés plus irrépressibles. L’article s’attache à montrer comment, face à eux, les femmes tentent de négocier et pourquoi, dans cette perspective, l’activité sexuelle apparaît comme une manière d’entretenir le lien conjugal. Seules quelques jeunes femmes se distinguent en mentionnant le désir sexuel qu’elles continuent de ressentir. Cette hétérogénéité de situations interroge sur la position de retrait des femmes et conduit à proposer une hypothèse en termes d’une moindre socialisation à la composante désirante de la sexualité. Starting with an empirical survey conducted in 2016 on about 40 young adults in “stable couples,” this article aims to understand how, within a few years, a majority of women who were sexually active in their youth tend to lose interest for heterosexual conjugal sexuality. Even though young women have been able to have more sexual and sentimental experiences than ever before in history, we note that once couples are formed, expectations towards sexuality diverge. This is often attributed to male “needs,” which are perceived as harder to control. Our article will show how women negotiate these needs, and how, in this context, sexual activity is used to maintain the conjugal bond. Only a few younger women, among those surveyed, declare that they still experience sexual attraction. This heterogeneity leads us to further investigate why sexual activity becomes of less interest to women and to offer a hypothesis in terms of a lesser socialization of the desiring component of sexuality. Haut de page Entrées d’index Mots-clés : couples hétérosexuels, sexualité conjugale, désintérêt sexuel, désir sexuel, socialisation. Keywords : Heterosexual couples, conjugal sexuality, indifference to sexuality, sexual desire, socialization. Haut de page Plan Des femmes actives sexuellement… durant leur jeunesse La période de jeunesse sexuelle Une sexualité récréative en attendant « le bon » Aux premiers temps du couple Une relation plus satisfaisante sur le plan sexuel La sexualité alimente le couple « Avoir envie » versus « préférer la tendresse » Entre baisse du désir et envie de tendresse : parvenir à négocier La peur d’être délaissée ou de délaisser son couple, le retour du devoir conjugal ? Une moindre socialisation au désir Le « coït discipliné » Accéder à la dimension désirante Conclusion Haut de page Texte intégral PDF Signaler ce document • 1 Outre le texte de M. Bozon (1998) dédiée à la place du désir dans le cycle de la sexualité conjugal (...) 1La diminution du désir à l’épreuve de la vie conjugale hétérosexuelle est une réalité bien documentée1. Tandis que les psychologues mettent l’accent sur la nécessaire distance à maintenir pour entretenir le désir sexuel (Perel, 2006 ; Brenot, 2001), les sociologues l’expliquent par la charge mentale et l’inégale répartition des travaux domestiques et éducatifs qui rend les femmes, au fil du temps, moins disposées à avoir des rapports sexuels (Bozon, 2013, p. 72, 2001a). D’un autre côté, depuis les années 1970, et sous la pression du mouvement d’émancipation des femmes et d’égalité entre les sexes, la sexualité féminine a fait l’objet d’une attention nouvelle : les femmes revendiquent le droit à une sexualité épanouissante, c’est-à-dire à assumer leur plaisir et à affirmer leur désir. Ce changement majeur, dans un contexte d’individualisation croissante, est à l’origine des transformations de l’intimité et aurait conduit à l’émergence du modèle de l’amour convergent qui repose sur une stricte égalité sexuelle et émotionnelle (Giddens, 1992). Cette évolution sans précédent a eu des répercussions sur les jeunes générations et explique pourquoi « le rapprochement des pratiques sexuelles des femmes et des hommes s’est encore accentué au tournant du xxi^ème siècle », comme le montre la comparaison des enquêtes successives sur la sexualité (Ferrand, Bajos, Andro, 2008, p. 359). Dans le même temps, ces démographes insistent sur le fait que la double asymétrie, opposant le désir et les « besoins » masculins, et les aspirations affectives et la disponibilité féminines, perdure.  2Malgré la somme de données disponibles dans les enquêtes sur les comportements sexuels, les enquêtes sociologiques ont peu considéré le rôle de la sexualité dans le couple, l’imbrication entre les liens conjugaux, affectifs et sexuels, et plus largement ses effets sur les autres domaines de la vie conjugale. Pourtant, la sexualité reflète à la fois les modalités de la relation conjugale et les rapports de genre dans le couple. Pour cette raison, la sociologie du couple pourrait être plus attentive aux « […] pratiques et [aux] normes en matière de sexualité [qui] sont très profondément ancrées dans la manière dont le couple se positionne sur les dimensions de l’autonomie ou de la communauté, de l’égalité ou des inégalités de genre. » (Widmer, 2014, p. 44). • 2 L’enquête réalisée auprès de « jeunes couples », en raison à la fois du caractère récent de l’union (...) 3Dans cette optique, la recherche conduite auprès d’une population de jeunes adultes en vue de questionner la formation de leur couple2, a intégré des questions relatives à la place de la sexualité dans le couple. Alors que ces couples ont une faible ancienneté et pour la plupart n’ont pas d’enfants – ils ne sont pas encore accaparés par les charges domestiques et parentales –, ils semblent confrontés à l’érosion du désir sexuel. Pourquoi, malgré les transformations indéniables depuis plusieurs décennies dans la sphère intime, et dont les effets sont clairement perceptibles durant la période de « jeunesse sexuelle », la place de l’activité sexuelle continue d’être vécue différemment par les femmes et les hommes qui composent ces jeunes couples ? Encadré méthodologique L’enquête est constituée de 41 entretiens biographiques, elle a été réalisée dans la région lyonnaise en 2016 dans le cadre d’une convention de recherche avec la CNAF et grâce à son soutien financier. Les entretiens ont été réalisés auprès de femmes (26) et d’hommes (15) en couples hétérosexuels. Dans la mesure du possible, j’ai cherché à interviewer les deux membres du couple (ce fut le cas pour 12 couples parmi les 29 enquêtés) – lors d’entretiens conduits séparément. L’échantillon a été constitué selon la méthode de proche en proche avec le souci de diversifier les modes d’accès aux couples afin d’interviewer des individus de milieux sociaux différents. Parmi la population interviewée, les ouvriers sont au nombre de deux (hommes), les employés 9 (7 femmes, 2 hommes), les professions intermédiaires 8 (6 femmes, 2 hommes), tout comme les cadres et professions intellectuelles supérieures (3 femmes, 5 hommes), 3 femmes sont sans emploi (elles sont également sans qualification), 11 sont encore étudiant·es. La moyenne d’âge de la population interrogée est de 27 ans. Les jeunes adultes rencontrés dans le cadre de l’enquête sont nés entre 1982 et 1993 pour les femmes, et 1980 et 1993 pour les hommes. Six couples sont mariés, 3 pacsés, et pour 9 autres, la date du mariage ou de la contractualisation d’un Pacs est fixée. Cinq ont un enfant (un seul en a deux), 3 attendent une naissance prochaine. Précisons que cette enquête n’était pas dédiée à la sexualité conjugale : cette dernière a été questionnée en tant qu’un des éléments constitutifs du couple pour saisir sa place dans le couple actuel et, rétrospectivement, comment celle-ci a évolué au fil du temps. L’approche par les parcours a permis de questionner le vécu sexuel, depuis le premier rapport pénétratif, jusqu’à cette relation conjugale, et de mettre en relation les différentes expériences. Outre les questions relatives à l’âge lors du premier rapport sexuel et le nombre de partenaires, les questions posées concernaient la place en termes quantitatif et qualitatif de la sexualité dans le couple, la façon dont ils et elles jugent leur sexualité actuelle et au regard d’autres expériences, qui est le partenaire à l’initiative du rapport sexuel et lors du dernier rapport, comment ils ou elles vivent cette demande quand ils et elles s’en sont pas à l’initiative ; ni les pratiques, ni les scénarios sexuels n’ont été questionnés de manière explicite. Les données obtenues ont permis l’amorce d’une nouvelle enquête qui permettra de produire un matériau spécifique sur la sexualité conjugale en approfondissant le vécu de la sexualité, plus amplement que cela n’a pu être fait dans cette enquête-ci : les types de pratiques sexuelles, la masturbation, l’usage d’objets matériels, l’orgasme seront alors abordés. • 3 Le fait que les pratiques sexuelles puissent être déconnectées des sentiments. 4L’analyse des parcours, mobilisée dans ma démarche de recherche (Santelli, 2019), peut s’avérer utile pour appréhender ce processus : le fait que l’asymétrie entre les femmes et les hommes s’accentue entre la jeunesse et les premières années de la vie conjugale. Au niveau macro, indéniablement, « […] la sexualité […] est devenue une des expériences fondamentales de la construction de la subjectivité et du rapport à soi-même. » (Bozon, 2001b, p. 185). Les changements qui en découlent (par exemple, une attente plus forte en terme d’épanouissement) ont contribué, au niveau micro, au développement du « sexamour3 » (Kaufmann, 2010). L’articulation des niveaux d’analyse permet de saisir comment des processus de transformation sur le long terme – tel que la sexualité non procréative – influent sur les pratiques individuelles qui, elles, demeurent différenciées en raison des expériences personnelles, mais aussi des appartenances sociales. Outre les différences entre les hommes et les femmes en termes de pratiques et d’attentes à l’égard de la sexualité, cette approche permet également de saisir les écarts à l’intérieur de ces groupes de sexe : sans minimiser l’inégalité de genre face à la sexualité, il importe aussi d’en dévoiler les disparités. La sexualité n’est pas qu’une « institution participant à fabriquer la hiérarchie entre les groupes de sexe », son étude permet aussi de mettre en évidence les différences (et donc les hiérarchies) entre les femmes (Clair, 2013, p. 102). L’analyse des parcours peut permettre d’expliquer les vécus différenciés. 5Alors que les transformations qui se sont opérées ont permis, comme jamais auparavant, aux jeunes femmes de pouvoir vivre « au grand jour » leurs expériences sexuelles et amoureuses (section 1), au terme de quelques années de vie de couple et malgré le fait que leur conjoint soit leur « meilleur partenaire sexuel » (section 2), leurs attitudes témoignent d’une divergence d’attentes : elles cherchent à éviter, à limiter les rapports sexuels, elles déclarent préférer la tendresse, tandis que ces derniers continuent à affirmer « avoir envie » (section 3). Pour comprendre comment cet écart à l’égard de l’activité sexuelle advient, on peut s’interroger sur les effets d’une socialisation au désir sexuel genrée (section 4). Des femmes actives sexuellement… durant leur jeunesse • 4 Cette transformation radicale s’appuie, en amont, sur la diffusion des modes de contraception : ell (...) 6Alors que dans les générations antérieures, l’institution matrimoniale fondait le couple et autorisait la sexualité, aujourd’hui les relations sexuelles peuvent se dérouler le jour même de la rencontre, ou peu de temps après (Kaufmann, 2010 ; Bozon, 2013). Dans cette nouvelle configuration, c’est le fait que les relations sexuelles soient satisfaisantes qui permet à la relation de se poursuivre et éventuellement se transforme en relation de couple. Cette inversion dans l’ordre des étapes est essentielle pour l’épanouissement sexuel des deux partenaires, mais elle est plus fondamentale encore pour les femmes qui, pour la première fois dans l’Histoire, peuvent avoir des relations sexuelles avant de s’engager dans une union conjugale. Le fait que le conjoint ne soit pas leur premier partenaire sexuel est en effet très récent : c’est à partir de la génération des femmes nées à la fin des années 1960 qu’au moins la moitié d’entre elles ont connu au moins une autre expérience sexuelle avant de vivre en couple (Toulemon, 2008)4. En quelques décennies, le changement a été considérable et donne lieu à une période qualifiée de jeunesse sexuelle par les socio-démographes : « la durée de la phase de vie sexuelle avant une première vie en couple a doublé, passant de 2 ans pour les femmes des générations nées vers 1940 à 4 ans pour celles qui sont nées après 1970 » (Bozon, 2013, p. 51). Outre l’allongement de cette période, qui s’est probablement encore accrue ces dernières années, le contenu s’est également transformé : le nombre de partenaires a augmenté (Rault, Régnier-Loilier, 2015) et le type de relations partagées durant cette période s’est diversifié (Giraud, 2017). 7La reconstitution de cette période de jeunesse sexuelle procure des éléments permettant, d’une part, de décrire le contexte dans lequel a eu lieu le premier rapport sexuel, d’autre part, d’établir le type de relations vécues entre l’adolescence et la rencontre avec leur conjoint actuel. La période de jeunesse sexuelle • 5 Les entretiens réalisés auprès de descendants d’immigrés (Collet, Santelli, 2012) ou, dans cette en (...) 8Avant l’entrée dans le couple cohabitant, quasiment tou·te·s les interviewé·es déclarent avoir connu des relations affectives et sexuelles. La plupart des enquêté·es déclare entre 2 et 4 « relations importantes ». Pour une petite minorité, soit pour des raisons d’âge au moment de la rencontre, soit en raison de leur culture musulmane5, le conjoint actuel a été le premier partenaire sexuel. C’est le cas pour moins d’un cinquième du corpus (7 sur 41) ; parmi ces individus, 5 sont des femmes. 9Le premier rapport sexuel avec pénétration a eu lieu, le plus souvent, dans le cadre d’une relation suivie – c’est-à-dire au cours d’une relation qui a débuté avant et s’est poursuivie encore plusieurs mois ou années après ; les filles sont un peu plus nombreuses dans ce cas (voir tableau n° 1). Le fait que le premier rapport sexuel soit un moment particulier d’une histoire à deux est un des principaux critères du « scénario idéal de la première fois » (Le Gall, Le Van, 2007). 10L’expérience d’Olwen, avoir son premier rapport sexuel dans le cadre d’un rendez-vous programmé avec un homme qu’elle connaît à peine, est extrêmement minoritaire. « Le premier [rire] le premier c’était vraiment pour se débarrasser du fait d’avoir jamais eu de rapport sexuel,. donc c’était plutôt... oui commandé quoi, le plan cul vraiment… on s’appelle juste pour ça, et ce n’était qu’une fois juste pour ça quoi, mais je le connaissais, on s’était parlé pendant 1 mois sur Internet avant (>ES c’est quelqu’un que vous aviez rencontré sur Internet ?) Non c’était un ami à mon frère [rire], mon grand frère ! » (Olwen, 25 ans, étudiante, en couple depuis 5,5 ans) 11Si la majorité des jeunes femmes ont attendu d’être dans une relation de confiance et de complicité pour avoir leur premier rapport sexuel, une partie d’entre elles avaient conscience que ce moment inaugural de l’entrée dans la sexualité adulte serait suivi de plusieurs autres expériences avant de former un couple stable : ce partenaire sexuel ne serait que le premier. 12Tableau n° 1 Contexte de la relation lors du premier rapport sexuel Filles Garçons Contexte de la relation Pas d’information fiable Non concerné (N = 26) (N = 15) Relation suivie 14 7 2 7 Relation éphémère 5 4 2 13N.B. : le premier rapport sexuel durant une période de vacances (même s’il a été qualifié d’« amour de vacances ») a été classé parmi les relations éphémères quand la relation n’a pas été suivie. 14Pendant cette période qui a précédé la rencontre donnant lieu à la cohabitation conjugale, quatre situations se dégagent : soit les individus n’ont pas eu de partenaire sexuel – certains ont néanmoins pu connaître une relation amoureuse ou affective ; soit, après la première relation importante ou après une rupture amoureuse, ils multiplient les expériences amoureuses et les partenaires sexuels, vivant une alternance de relations « sérieuses » et « légères » ; soit ils n’ont connu que des relations « sérieuses » ; soit presque exclusivement des relations « légères », par définition courtes, voire uniquement sexuelles. 15Tableau n° 2 Type de relations vécues avant le couple actuel Type de relations vécues Effectifs Dont femmes Pas de relation sexuelle 7 5 Alternance de relations « sérieuses » et « légères » 21 15 Relations « sérieuses » 9 4 Relations « légères » 4 2 TOTAL 41 26 16La situation qui prédomine est celle où ces jeunes adultes ont alterné des relations « sérieuses » et « légères ». Selon ce critère, on assiste à une forme de similarité : les expériences féminines et masculines convergent. Il s’agit là de l’un des nombreux résultats partagés avec l’enquête de C. Giraud (2017). Le fait de connaître des « relations légères » est assimilé à une façon de « se remettre » de l’échec ou de la désillusion amoureuse précédente : « L’après-rupture est le moment d’une diversification des répertoires des histoires intimes […], d’une critique de l’injonction au sérieux amoureux et conjugal, d’une certaine forme de réflexivité sur la place et le contenu du couple dans la vie personnelle » (Giraud, 2017, p. 64). Ce changement, manifeste au regard des générations précédentes, indique une rupture avec ce qui constitue les injonctions classiques à l’égard des femmes (la retenue, une sexualité connectée aux sentiments, la projection dans une relation durable et sérieuse). Ces expériences successives ont été valorisées par les jeunes femmes : cette étape, qui précède l’entrée dans la conjugalité cohabitante, permet de se forger une expérience amoureuse, sexuelle et conjugale, qui leur apparaît nécessaire pour élaborer leurs attentes vis-à-vis de la vie à deux et aussi mieux se connaître. Néanmoins l’objectif demeure de trouver un conjoint. « Vu que j’ai eu plusieurs relations avant, je savais un petit peu ce que je ne voulais plus retrouver chez un homme […]. Ça m’a aidé [d’avoir connu de précédentes relations], c’est vrai que je n’ai pas eu d’expériences très longues, mais plusieurs quand même, et je pense que ça m’a aidé, oui un petit peu à un moment donné pour savoir ce que je voulais, ou ce que je ne voulais plus. » (Karine, 32 ans, éducatrice, en couple depuis 4 ans) Une sexualité récréative en attendant « le bon » 17Faire connaissance du partenaire en commençant par faire l’amour avec lui pourrait être comparé à la pratique du flirt il y a quelques décennies : c’est une manière de savoir si l’intimité partagée plait (i.e. donne envie de poursuivre la relation). Pour ces femmes qui attendent désormais de pouvoir s’épanouir aussi sexuellement dans la relation conjugale, c’est une façon de le vérifier. 18Dans le corpus, une majorité de femmes revendiquent le fait d’avoir connu une sexualité récréative, entendue au sens d’une « sexualité de loisir au sens fort, une sexualité libre, de temps libre, sans intention procréative, dont l’objectif principal est le bien-être » (Mouget, 2016). Si cette pratique est au cœur des « relations légères », qui va de pair avec la multiplication des partenaires, les « relations sérieuses » peuvent aussi être vécues sur ce mode : prendre plaisir à se découvrir sexuellement et à partager une activité sexuelle. 19Toutefois, si le caractère récréatif est assumé, les jeunes femmes ont aussi mis en avant qu’une partie au moins de ces relations sexuelles a été vécue dans la perspective de « voir si cet homme serait le bon », si cette rencontre pouvait donner lieu à une relation sérieuse et, le but ultime, une vie à deux. Sans toujours se l’avouer (à elles-mêmes et à leur partenaire), elles auraient souhaité qu’une partie des relations légères se transforment en relations sérieuses. Alors que Paloma fait partie de la minorité de femmes ayant clairement assumé sa pratique d’une sexualité récréative, elle aussi a connu cette tension. « J’ai cette tendance à croire aux contes de fées […] pas avec tous les garçons […] mais... j’ai eu plusieurs fois genre « Woaw peut-être qu’avec lui... » oui je suis un peu- j’adore les comédies romantiques [rire] […] c’est vrai que plusieurs fois ça m’est arrivé, peut-être pas toutes les fois hein, mais... ça m’est déjà arrivé 6 fois ou 7 fois avec un garçon de me dire ‘Bon peut-être qu’avec lui oui’. Alors que pas du tout... Moi je suis un peu romantique » (22 ans, étudiante, en couple depuis 2,5 ans) 20A l’instar de C. Giraud (2017, p. 17), on pourrait dire que quand une bonne partie des hommes souhaitent seulement sortir et coucher avec des femmes, elles, elles sortent et couchent avec eux pour peut-être faire couple. 21Deux courts extraits d’hommes peuvent en témoigner, ils expriment leur ressenti peu de temps après la rencontre : « Il y a eu 2-3 mini-aventures entre temps [après le début de la relation avec sa compagne] mais [rire] parce qu’au début on n’y croit pas trop non plus [à la relation] […] mais finalement c’est vrai que... ça a quand même duré finalement donc [rire] on se range, on se range comme on dit » (Quillian, 25 ans, boulanger, en couple depuis 6 ans). « [au moment de la rencontre] J’avais vraiment pas envie d’une relation (de couple) […] je sortais de 7 mois de relation avec une fille très jalouse, maladive et ça m’avait… comment dire, un petit peu énervé du couple, donc voilà, non je n’avais vraiment pas envie à la base, j’étais pas parti pour ça » (Sylvain, 26 ans, gardien de la paix, en couple depuis 4 ans). 22Si la jeunesse sexuelle correspond à la période durant laquelle la sexualité est déconnectée d’un projet conjugal, cette expérience reste inégalement répartie entre les hommes et les femmes. Les femmes demeurent plus promptes à se projeter dans le « nous conjugal ». Quand une relation a les apparences d’une « relation sérieuse » et dans laquelle les jeunes femmes pourront « se réaliser » (Santelli, 2018), plus rapidement que les hommes, elles cherchent à enclencher le processus de l’installation conjugale ; les hommes le font aussi, mais à un âge plus tardif. Il s’agit là d’une différence de genre essentielle. Amélie rencontre Gabriel à un moment où se pose pour elle, et pour la première fois, la question de la projection dans une vie familiale. A ce moment-là, elle vient d’obtenir un emploi et l’accès à un logement, c’est-à-dire les conditions de son autonomie. « Au bout d’un moment […] ça m’a gonflé d’être juste dans les rencontres d’un soir, et des trucs pas sérieux […] Je ne me posais pas la question de mon avenir à l’époque [elle était étudiante et sortait beaucoup] alors que là [une fois qu’elle travaillait] j’avais un peu tendance à penser ‘T’as 25 ans… t’as un boulot, peut-être qu’il faut que tu penses à ta vie perso […] peut-être l’idée des enfants aussi, fonder une famille et tout ça » (30 ans, profession paramédicale, en couple depuis 4 ans) • 6 A la question sur le nombre de partenaires, une gêne était perceptible auprès des femmes qui en déc (...) 23Ayant atteint un certain âge, les rencontres s’accomplissent avec l’idée que ce pourrait être le conjoint avec lequel elles vivront : la sexualité des jeunes femmes n’est alors plus complétement déconnectée d’un projet conjugal. Il faudrait alors s’interroger si la période de jeunesse sexuelle ne désigne pas plutôt l’assentiment collectif qui, à présent, entoure cette période durant laquelle les hommes ET les femmes ne subissent plus (autant) la pression morale qui dictait auparavant leurs comportements sexuels. Les femmes pourraient alors « profiter de leur jeunesse », connaître plusieurs relations, faire l’expérience d’une sexualité récréative, mais il leur faut aussi (et toujours) penser à « se caser » en raison de la norme d’hétérosexualité reproductive, qui pèsent tout particulièrement sur elles. De plus, la réprobation continue de s’exercer quand ces jeunes femmes semblent « trop profiter » de cette période : les jeunes femmes qui ont eu un nombre élevé de partenaires sont conscientes de la désapprobation qui pèse sur elles6. En revanche, ce qui change aujourd’hui au regard de l’expérience acquise durant cette période, c’est le fait que ces jeunes femmes escomptent que l’activité sexuelle puisse continuer d’être une source d’épanouissement dans leur couple. Aux premiers temps du couple 24Dans leur couple actuel, pour plus d’un tiers des interviewé·es, le premier rapport sexuel a eu lieu le jour même où ont été échangés les premières caresses, les premiers baisers, ou le lendemain. Pour un autre quart, il a lieu quelques jours après. Il reste un tiers des jeunes couples pour lesquels le premier rapport sexuel pénétratif se déroule plusieurs semaines après le début de la relation. Hormis les jeunes femmes pour lesquelles l’entrée dans la sexualité était proscrite avant le mariage, on constate que des jeunes femmes ont repoussé ce moment pour réaffirmer le lien entre « sexualité » et « sentiments ». Ces dernières avaient déjà connu plusieurs relations, certaines des relations « sans lendemain ». Le report du premier rapport sexuel était une façon de s’assurer du sérieux de la relation, soit en raison de leur conviction morale, soit en choisissant ainsi de privilégier une nouvelle dynamique relationnelle. M. Bergstrom (2014) met également en évidence ce fait, au sujet des rencontres qui se font par le biais des sites : le report de l’entrée dans la sexualité est un gage de sérieux de la relation. « J’ai retardé le rapport sexuel pour une fois, avant j’étais plutôt à mettre tout dans la même foulée, pour une fois je me suis dit ‘on va attendre’, on a attendu 3 semaines, on a vraiment flirté comme des ados, avant de se lancer physiquement. (>ES Ça, c’est vous qui avez choisi ?) Oui. Oui-oui. […] Il fallait vraiment une rupture avec mes modes de fonctionnements […] je me suis dit on va tenter une nouvelle façon de faire pour que justement faire que ça marche cette fois-ci. Il y avait vraiment cette optique-là » (Elsa, 32 ans, enseignante, en couple depuis 1,5 ans) Une relation plus satisfaisante sur le plan sexuel 25Au début de la relation, la sexualité a contribué à sa construction (Bozon, 1998), elle a été à la fois le signe et un des ingrédients de l’entente, de la complicité et de la possibilité d’épanouissement à deux. Dès le début de la relation, chacun des membres du couple a cherché à s’assurer que, sur ce plan-là aussi, ils se plaisaient : « il faut que physiquement on se plaise, il faut que sexuellement ça marche bien » (Mathieu, 30 ans, profession paramédicale, en couple depuis 4 ans) (voir aussi plus bas Karine). 26Lors de ces premiers temps de la relation, la sexualité est vécue sur le même mode que dans les relations précédentes : elle est un temps d’échanges, de découvertes, de quête du plaisir. Ils/elles recherchent avant tout à passer un moment agréable car, à ce stade, la plupart ne savent pas si cette relation ne sera pas qu’une relation de plus. Quelques-un.es ont évoqué une attirance érotique particulière, ou le fait qu’ils/elles n’aient jamais ressenti autant de désir et de plaisir, mais l’évocation de cette situation reste très minoritaire. Vadim (26 ans, étudiant) évoque ainsi le début de leur relation : « On fait très-très souvent l’amour, nous plus que certains je pense, parce que on aime tous les deux ça et du coup on en a pas mal profité […] c’est [à cette période] un peu explosif, c’est passionné... ». Quant à sa conjointe, Paloma, elle explique lors de l’entretien réalisé avec elle, qu’elle a connu son premier orgasme avec lui : « J’ai eu mes premiers vrais orgasmes avec lui […] des fois [avec de précédents partenaires] c’était super bon, enfin voilà je suis désolée, j’adore le sexe, et... je me disais toujours ‘Ah c’était peut-être ça’ […] mais avec lui genre c’est un orgasme quoi [rire] Je sais que c’est ça [le doute n’était plus permis] » (22 ans, étudiante, en couple depuis 2,5 ans) • 7 A l’exception d’un couple dans lequel, pour les deux conjoints, ce n’est pas le « meilleur partenai (...) 27Ils/elles sont nombreux, en revanche, à mentionner le fait que cette relation sexuelle est plus satisfaisante que les précédentes7. Cette satisfaction sexuelle a été un préalable à la poursuite du couple. Dans ce domaine aussi, la plupart des interviewé.es relatent comment ils/elles ont été attentif·ves à la possibilité d’avoir une vie sexuelle épanouie. Les femmes en particulier semblent soucieuses de cette composante dans leur couple. « En général quand ils se connaissent [les deux personnes se rencontrent] il y a assez vite une première relation sexuelle, donc on se rend compte [de ce qui convient ou pas] c’est quand même un point important, on se rend compte assez vite si ça colle ou pas et c’est vrai que ça fait partie aussi de ce qui va un peu avec l’entente quoi, parce qu’il y a des fois oui où ça peut ne pas coller au niveau de la sexualité... je sais pas... il n’y a pas le feeling, ou peut-être un homme qui en demande trop ou pas assez, voilà [souffle] Non après... pas d’attentes particulières mais voilà c’est sûr qu’il faut que ça- fallait que ça passe bien aussi à ce niveau et qu’on soit un peu sur la même longueur d’onde » (Karine, 32 ans, éducatrice, en couple depuis 4 ans) La sexualité alimente le couple 28M. Bozon (1998, p. 175) nous rappelle que « Dans les sociétés contemporaines, une relation conjugale n’est pas concevable sans activité sexuelle entre les conjoints », a fortiori parmi les jeunes couples et en particulier quand les individus sont eux-mêmes jeunes. Les résultats de l’enquête CSF (2006) montrent également » la montée d’un certain idéal de réciprocité, et d’une meilleure prise en compte du désir féminin » (Ferrand, Bajos, Andro, 2008). Dans le cadre de mon enquête, tant les femmes que les hommes ont mis en avant une amélioration qualitative de leur activité sexuelle en raison d’une meilleure connaissance des attentes réciproques et d’une plus grande complicité entre eux – rappelons que les questions ont trait à sa place dans le couple, et non sur les pratiques sexuelles. « C’est vraiment quelque chose d’important, il faut que ça se passe bien, si jamais il y en a un [de nous] qui ne va pas, ça ne va pas […] on a changé de façon de faire l’amour je pense. Au début de notre relation on faisait beaucoup plus [au moins une fois par jour] alors que maintenant on est sur une routine, plus une routine… On fait beaucoup moins l’amour, si on devait quantifier, ça ferait… deux fois par semaine, ce qui est pas énorme pour notre âge […] [Mais] C’est mieux qu’avant parce qu’on se comprend mieux, parce qu’on sait ce qui fait plaisir à l’autre, parce qu’on est dans une relation de… une vraie relation d’amour, on fait l’amour […] et c’est pour ça que c’est le ciment du couple » (Niels, 22 ans, étudiant, en couple depuis 3,5 ans) « Aujourd’hui on est dans… dans une relation où on se connait très bien, on sait ce que l’autre n’aime pas, ce que l’autre aime, ce qui va le déranger, ce qu’il va apprécier donc du coup c’est... on ne va pas dire que c’est parfait mais grosso modo il y a presque rien de dérangeant quoi […] plutôt que d’avoir une relation qui devient... routinière […] c’est plutôt l’inverse […] du coup à chaque fois c’est différent mais à chaque fois c’est agréable » (Eloïse, 23 ans, étudiante en alternance, en couple depuis 5,5 ans) 29Classique au terme de plusieurs années de vie de couple, la diminution de l’intensité sexuelle dans le couple stabilisé est l’effet d’un changement de fonction de la sexualité : « L’activité sexuelle n’est [plus] une simple recherche de plaisir physique […] il s’agit d’un temps créateur d’intimité partagée » (Bozon, 2016, p. 105). Ces couples en témoignent : lors de l’activité sexuelle, il se vit « des choses » qui contribuent à alimenter leur relation. Les couples entrent alors dans une nouvelle étape, celle de la « sexualité domestiquée » : si l’existence de cet espace de confiance contribue à l’érotisation de la relation pour les femmes, les hommes se satisfont moins de cette transformation, car ils craignent la dépendance et le fait que leur conjointe puisse parfois les rejeter (Carmona, 2013). Les hommes enquêtés en font l’expérience : une fois le couple engagé dans une relation stable et cohabitante, la plupart font le constat amer du moindre intérêt de leur femme pour l’activité sexuelle. « Avoir envie » versus « préférer la tendresse » 30Après une période durant laquelle ces couples ont eu des rapports sexuels très fréquents (plusieurs fois par semaine ou chaque jour), le rythme des relations sexuelles s’est beaucoup espacé. Et ce sont les femmes qui le restreignent ; à l’exception de deux d’entre elles. Les hommes restent en position de demande : ce sont eux qui initient l’activité sexuelle. Les femmes et les hommes interviewés s’accordent sur ce fait. Dans quelques entretiens, des hommes et des femmes ont déclaré que ce sont ces dernières qui initient le plus souvent l’acte sexuel, mais il faut alors l’entendre au sens où les premiers attendent que les secondent manifestent leur envie de faire l’amour, et non au sens où ce sont elles qui en auraient plus envie : l’envie initiale demeure très largement du côté masculin. • 8 Par effet de construction de l’échantillon, ces couples ont une ancienneté de moins de 6 ans. 31Tout en étant encore de jeunes couples8, la majorité se trouvent confrontés à la dichotomie classique entre des hommes qui sont « demandeurs » et des femmes qui cherchent à espacer l’activité sexuelle. Cet écart est d’autant plus manifeste qu’il tranche avec le plaisir que ces dernières ont eu à découvrir l’activité sexuelle durant la période de jeunesse sexuelle – quelques années plus tôt. Ces jeunes femmes se trouvent à présent dans une situation où, tout en constatant leur moindre envie d’une activité sexuelle, elles s’y résignent en raison de la place qu’est censée occuper la sexualité dans la vie de couple. « C’est vrai que moi je ne suis pas tellement portée sur ça, je n’ai jamais ressenti de manque vraiment […] mais lui par contre il a... il a toujours envie de moi, tous les jours, tout le temps... […] s’il devrait y avoir un problème entre nous [ce serait ça][…] je fais des efforts pour aller dans son sens comme lui fait des efforts, il respecte le fait aussi que j’ai moins de besoins et il le prend pas mal parce qu’au début il le prenait un peu mal, il me disait ‘Tu n’as pas envie de moi, c’est que tu m’aimes pas’ […] je lui prouve autrement que je l’aime et il le sait... Il me le dit ‘Je le sais que tu m’aimes mais c’est dur pour un homme de voir que tu n’as pas trop envie de le faire quoi.’ Alors au niveau de la fréquence… pour donner une idée, on le fait quand même deux fois par semaine […] on ne peut pas être un couple s’il n’y a pas une vie sexuelle entre les deux personnes […] j’ai quand même envie de lui, je dis ‘sur le moment j’en ai pas envie’, et puis finalement… quand il vient vers moi, ça vient, finalement ça se fait […] peut-être que vu que c’est un homme il a peut-être d’autres besoins, enfin ça vient plus facilement ce besoin-là, alors qu’une femme, peut-être ça vient moins […] c’est lui qui initie, mais c’est moi qui modère le truc on va dire » (Annabelle, 26 ans, profession paramédicale, en couple depuis 5,5 ans) Entre baisse du désir et envie de tendresse : parvenir à négocier • 9 Nous ne considérons là que la sexualité qui se déroule dans la sphère conjugale car, à ce stade de (...) 32Au fil de ces premières années de vie de couple, un écart se creuse entre hommes et femmes en termes d’attentes à l’égard de la sexualité9. Tandis que ces derniers sont plus nombreux à souhaiter (maintenir) un registre plus charnel et désirant, les premières ont une conception plus romantique, empreinte de tendresses et de caresses ; l’envie de tendresse serait à la fois la marque des sentiments partagés et la façon privilégiée de conduire à l’activité sexuelle. Marion insiste sur cette dimension à propos de leur premier rapport sexuel, c’est cette qualité de tendresse qu’elle aimerait retrouver : « [lors du premier rapport sexuel] On a passé une soirée ensemble […] c’était plus une communion qu’un rapport sexuel en lui-même […] on avait pris notre temps et du coup c’était... c’était quelque chose de plus… c’est vraiment mystique, de plus spirituel que physique quoi […]. En fait ce n’est pas si important pour moi [la sexualité] […] ça prend sa dimension quand justement on retrouve des moments comme ces premières fois […] mais physiquement pour physiquement... enfin moi ça m’intéresse pas […] j’ai besoin de beaucoup plus sentir son amour et sa tendresse que d’être dans une relation physique […] j’ai vraiment besoin de ça. » (25 ans, école d’avocats, en couple depuis 4 ans) Camille, en présence de Quillian, exprime la même idée en déclarant préférer la dimension sensuelle et tendre de leur relation à sa dimension sexuelle, et en clivant leurs attentes : « Moi je serais demandeuse quand je suis sur mon terrain, avec sensualité et massages, là c’est moi qui suis demandeuse, mais si c’est l’acte en lui-même, c’est Monsieur [il prend alors la parole] Contrairement à moi [rire] […] voilà je suis un homme, on va dire je suis un homme voilà, c’est vrai que je suis plus demandeur […] [elle poursuit] on va dire l’univers du sexe pour moi est secondaire » (tous deux 25 ans, assistante pédagogique, boulanger, en couple depuis 6 ans) 33Deux attitudes masculines sont observables face à cette attitude féminine qui marque un retrait de la sphère sexuelle. Dans le premier cas : les hommes se plaignent du fait que leur compagne ne prenne pas assez en compte leurs « besoins » plus fréquents et qu’elle ne fasse pas plus d’efforts ; cette situation est rapportée par des femmes au sujet de leur conjoint non interviewé. Elle peut conduire à des disputes, voire des formes de violence – jamais évoquées explicitement dans l’enquête, voir toutefois plus bas le cas de Saida qui mentionne les pressions qui s’exercent sur elle. Dans le second cas, les hommes sont également demandeurs, mais ils attendent que l’envie soit partagée. Considérant le désir sexuel féminin « plus compliqué », ils estiment qu’il vaut mieux attendre que leur compagne ait envie. Dans les entretiens réalisés avec les hommes, c’est cette seconde attitude qui est la plus fréquemment exprimée – elle peut être un effet de la situation d’enquête face à une femme enquêtrice. 34Dans les deux cas, la divergence d’attentes entre les conjoints peut être source de frustration et d’insatisfaction. Du côté des hommes, parce qu’ils doivent faire face à des refus répétés, ils se sentent rejetés, mal aimés, leur désir non assouvi. Ils ne comprennent pas toujours le changement d’attitude de leur compagne qui, à présent, a « moins envie ». Cette nouvelle situation les place dans une position qui leur paraît difficile à tenir : attendre, et surtout savoir discerner le bon moment pour initier l’acte sexuel afin de s’assurer que leur compagne en ait également envie, ou parvenir à leur donner envie : « C’est à moi de prendre les choses en main mais… en se mettant dans sa tête […] voilà [rire] c’est pas un rôle facile ! » (Sylvain, 26 ans, gardien de la paix, en couple depuis 4 ans). Du côté des femmes, soit, sous l’effet des caresses, des mots tendres, elles en ont également envie, soit elles « se laissent faire », soit elles refusent. Dans les deux derniers cas (finir par dire « oui » ou refuser), elles se sentent harcelées, incomprises, trouvant la situation injuste car l’alternative était soit de « dire oui » et se contraindre, soit « dire non » et savoir qu’elles déçoivent leur conjoint. 35Face à cette divergence à l’égard de l’activité sexuelle, les couples négocient pour parvenir à un nombre de fois qui semble convenir aux deux. Les unes et les autres ont répondu avoir généralement deux rapports par semaine. Outre le fait que cette réponse a l’avantage de donner le sentiment d’être dans la norme (montrer qu’ils ont « suffisamment » de rapports sexuels), elle indique aussi qu’un consensus a été trouvé pour ne pas (trop) frustrer le partenaire masculin et permettre au partenaire féminin de savoir que ce dernier ne lui demandera pas tous les jours. De nombreux entretiens montrent qu’il s’agit là d’un enjeu pour ces dernières : savoir qu’elles seront « tranquilles » certains soirs. Valentine explique comment elle parvient à négocier pour repousser le moment du rapport sexuel. Mais alors qu’elle évoque des problèmes financiers et de santé pour le justifier, elle pointe le fait qu’étant en couple elle ne peut pas toujours refuser. Elle refuse quand par exemple le lendemain, veille d’un jour de congé, elle sait qu’il va à nouveau lui demander. « Je fais ‘Ah demain tu bosses’, il me dit ‘Et alors ?’, il me fait ‘Allez c’est vendredi [le lendemain], c’est mon dernier jour’ je fais ‘Raison de plus, demain soir [comme] ça sera ton dernier jour de boulot [tu vas me redemander]’ […] En fait, passé un temps, c’était limite on faisait presque plus rien parce qu’il était toujours demandeur, et moi je ne supporte pas. C’est... [reprenant les propos de son conjoint] ‘Quand c’est qu’on fait l’amour ?’ ‘Ca fait une semaine qu’on n’a pas fait l’amour’ […] Je lui disais ‘Plus tu vas me le dire, et moins on va le faire parce que tu es en train de m’énerver’ […] depuis ce jour-là il arrête de me demander et des fois il me regarde ‘T’as vu, je t’ai rien dit hein, je ne t’ai pas embêté de toute la semaine, mais ce n’est pas pour ça qu’on l’a fait’ il me dit [rire] Donc ouais après ce qui joue aussi beaucoup c’était les soucis financiers, c’était de pas trouver de boulot, de vivre avec 300 euros par mois […] lui il y pense moins […] [alors que] moi je vais gamberger jusqu’au moment où je vais trouver la meilleure solution […] Même si ça fait mal au début [lors du rapport sexuel et] jusqu’à la fin [en raison de problème de santé] ben voilà, c’est- voilà on est un couple, et puis on a envie l’un de l’autre, mais ouais. » (23 ans, sans emploi, en couple depuis 3,5 ans) 36Que les jeunes femmes aient fait montre d’un moindre intérêt pour l’activité sexuelle dès le début de la relation ou que leur désir se soit essoufflé, la situation qui semble prévaloir est celle où les premières demandent à leur conjoint de leur laisser du temps, de ne pas être insistant – plus il l’est, moins elles auraient envie. Ces jeunes femmes souhaiteraient être dans la situation où ce sont elles qui expriment leur envie. Mais, ce moment ne semblant jamais arriver, du point de vue de leur conjoint, il exprime son désir avant. Outre le fait qu’ils faisaient très souvent l’amour au début de la relation (ils avaient alors 17,5 ans et 19,5 ans), Loïc explique qu’il laissait Eloïse prendre l’initiative car elle avait plus d’expériences « elle prenait un peu les rênes quand moi je n’osais pas ». Il y avait alors un même désir partagé. Au moment de l’enquête, la situation semble bien différente : l’une et l’autre évoquent la moindre fréquence de leur activité sexuelle, mais tandis que lui en est frustré, cela lui convient à elle, estimant même qu’elle doit encore parfois « le repousser ». Dans l’entretien avec Loïc, il confirme sa déception car il estime que la sexualité est une manière d’exprimer ses sentiments autrement que par les mots, mais « souvent je la laisse, elle, initier, parce que bon... [souffle] ses envies sont plus fluctuantes peut-être que les miennes […] la sexualité a perdu de la place face à l’entente, à d’autres choses […] c’est peut-être moins important que d’autres moments qu’on peut passer ensemble ». Dans l’entretien réalisé avec elle, Eloïse insiste sur le fait qu’elle ne veut pas se sentir contrainte : la sexualité doit demeurer un moment intense, désiré par les deux « plus il me demande, plus ça m’énerve […] on essaie de garder un rythme tout en… confrontant ça à nos envies quoi, il ne faut pas [se dire] ‘ça y est, on est samedi, il faut y aller ! ’ c’est quand même essentiel qu’il y ait une certaine qualité dans les rapports. » (Eloïse, 23 ans, BTS en alternance, Loïc, 25 ans, formation professionnelle rémunérée, en couple depuis 5,5 ans) 37Les femmes semblent désireuses de limiter les conflits et la frustration que peut engendrer leur refus. Nous avons vu plus haut l’exemple d’Annabelle qui résume bien l’ensemble de tensions dans lesquelles elle se trouve prise : témoigner de son amour sans se forcer à faire l’amour ; accepter de se laisser faire tout en modérant. Si quelques femmes se distinguent de cette attitude, cette dernière semble néanmoins majoritaire dans mon corpus : chercher à espacer l’acte sexuel, mais pas trop, car il est une des dimensions inhérente à la relation de couple. La peur d’être délaissée ou de délaisser son couple, le retour du devoir conjugal ? 38Alors que l’enquête sur les comportements sexuels des Français.es (Inserm, Ined, 2006) montre que les femmes sont moins nombreuses que par le passé à déclarer avoir des rapports sexuels pour faire plaisir à leur partenaire, alors qu’elles-mêmes n’en ont pas envie (Ferrand, Bajos, Andro, 2008), l’expérience de se résigner pour faire plaisir au conjoint n’a pour autant pas disparu. « A un moment donné on ne se sent pas obligé, mais on se dit que quand on se voit [à cette période le couple ne se voyait qu’une fois par semaine] et que l’autre a... à cette envie […]. la dernière fois, je pense qu’il avait plus envie que moi […] [ayant eu ce rapport, elle estime a posteriori qu’]  il faut encore que je grandisse par rapport à ça je pense, que j’apprenne plus à me dire ‘non, là tu as le droit de dire que tu as moins envie, et tu as le droit de le dire et de le penser, c’est pas pour autant que tu l’aimes moins’. C’est quelque chose qui doit évoluer encore je pense. » (Marion, 25 ans, école d’avocat, en couple depuis 4 ans) 39Pour une majorité de femmes, l’activité sexuelle s’apparenterait à une activité d’entretien du couple (Bozon, 1998) : que les femmes aient envie, mais moins souvent que leur conjoint, ou non, elles s’y résignent de temps en temps car ainsi elles contribuent à la production d’une « dynamique conjugale harmonieuse » (Bozon, 2001a). Tout l’enjeu consiste alors à savoir si elles peuvent s’y soustraire sans avoir l’impression de mettre en danger cette dynamique conjugale – i.e. la trahir en n’agissant pas dans l’intérêt de cette dernière. Dans le cas contraire, avoir des rapports sexuels s’apparenterait à ce que l’on nomme le « devoir conjugal ». Pour quelques jeunes femmes, même si aucune ne l’a évoqué explicitement, cela ne fait pas de doute : elles consentent au devoir conjugal, soit par peur de la réaction de leur compagnon, soit parce que la « nature » différente des hommes ne se discute pas : « C’est quelqu’un qui y tient quand même [à l’activité sexuelle] donc j’ai su m’y habituer » (Eléonore, 24 ans, agent administratif, en couple depuis 1,5 ans) ; « Il se fâche pas, on va dire, parce que des fois j’ai peur qu’il se fâche et si je lui dis ‘non’ il va me dire ‘mais pourquoi tu veux pas, y a quelque chose ?’«  (Saida, 26 ans, sans emploi, en couple depuis 3 ans). • 10 Résultat qui met en évidence le fait que « […] les logiques du genre et des rapports de sexe organi (...) 40Ce sentiment diffus d’une « obligation au sexe », et de la contrainte qui peut s’exercer, peut être lié au fait de vivre dans une société où de nombreux supports médiatiques se font le relais d’une érotisation croissante. Elle provient aussi du fait que les hommes, eux, se sentent autorisés à exprimer leur désir : le rythme de la sexualité conjugale semble être défini – pour le moins pensé – à l’aune de la demande masculine10. Ne pas y répondre, c’est prendre le risque d’être délaissée parce que d’autres femmes auraient, elles, ce désir. Si l’enquête n’a pas permis de recueillir un matériau suffisant concernant la manière dont les médias (films, magazines), ou internet, exercent une pression sur les couples, les femmes expriment néanmoins celle qu’elles ressentent à devoir être réceptives au désir de leur conjoint, car la multiplication des sites de rencontres, les applications en tout genre de la vie quotidienne (pour se déplacer, faire du sport, etc.) peuvent favoriser des rencontres avec des femmes plus disponibles sexuellement. 41Ainsi, certaines femmes reconnaissent qu’elles finissent par dire « oui », alors qu’elles n’en ont pas envie. Les mêmes déclarent qu’il leur arrive aussi de refuser un rapport sexuel pendant des mois. Il s’agit là d’un des résultats manifestes des luttes féministes : la légitimité de ce droit s’est diffusé au point que trop d’insistances du côté des hommes peut être qualifié de violences sexuelles. Au regard des générations passées, les femmes se sentiraient moins obligées de « faire des efforts ». L’enquête montre que ce constat se vérifie auprès de jeunes femmes de conditions sociales très diverses ; toutefois, elle ne permet pas de répondre pour des femmes plus précaires, ou en cas de violences conjugales. 42Parallèlement, et ce quel que soit le milieu social, la peur persiste de perdre un conjoint qui serait insatisfait sexuellement. C’est pourquoi, ces jeunes femmes seraient à la recherche d’un équilibre constant : refuser quand elles n’en ont « vraiment pas envie », mais aussi consentir à des rapports sexuels. Il s’agirait là de la nouvelle version du devoir conjugal. Souhaitant s’affranchir de l’attitude qui, dans le passé, consacrait la « disponibilité féminine », elles ne le peuvent totalement sans prendre le risque de générer incompréhension et frustration du côté de leur conjoint. Elles continuent de pratiquer une sexualité plus relationnelle, dans laquelle « L’échange sexuel est au service d’une construction conjugale ou sentimentale qui l’englobe et la contient (dans tous les sens du terme). » (Bozon, 2001a, p. 22). 43L’exemple de Charline pourrait expliquer le passage, sur un laps de temps relativement court, d’une sexualité décrite « tout feu, tout flamme » à une sexualité routinière (le fait d’avoir des rapports sexuels espacés et dont le but est d’entretenir la relation). Elle explique que par peur de perdre son futur mari, au début de leur relation, elle s’est efforcée de le retenir par la sexualité : 44« J’avais l’impression que c’était le gage pour le garder, qu’il fallait que je sois au top ». Au terme de quelques années, elle constate que le rythme s’est nettement ralenti « Lui il travaille énormément, il a des journées de dingue, moi... je suis aussi une p’tite nature et je suis assez crevée, les semaines s’enchainent […] et là on se dit ‘Là ça fait un mois, enfin ou trois semaines, il s’est rien passé… » 45Sa crainte est forte, à présent que la sexualité soit essentiellement présente dans la perspective d’avoir un enfant, que cela nuise au couple, et que perdure son relatif désintérêt pour leur activité sexuelle. Ce dernier semble, pour l’instant, partager par son conjoint qui parle d’une « sexualité plus pratique » en raison du projet de « faire un enfant » (Mathieu, 30 ans, secteur paramédical). Cette appréhension est d’autant plus forte que subsiste la peur que Mathieu soit tenté, un jour, de renouer avec ses pratiques extra-conjugales – au tout début de leur relation –, d’autant qu’il existe à présent de multiples sollicitations par internet. « les Smartphone Tinder machin […] c’est vraiment une hypersexualité […] ça met la pression sur les couples je trouve. Ça nous aide pas à être sereins, on pourrait se dire ‘Ouais, mais si on s’aime’… mais quand même je trouve que c’est un peu cet environnement... pas malsain mais un peu quoi ». 46Charline prend aussi l’exemple de sa sœur pour dire qu’à la suite de la naissance des enfants et sa « moindre disponibilité » pour son conjoint, ce dernier l’a quittée. Elle poursuit en exprimant sa crainte, une fois qu’elle aura un enfant, de ressentir un plus grand désinvestissement encore : « Une fois qu’on a le bébé du coup on a plus du tout envie [de sexualité] [ton interrogatif], c’est fini, après pour que ça revienne, comment ça se passe ? [ton anxieux] Je me demande comment ça va se passer la vie sexuelle en fait » (30 ans, profession intermédiaire de la fonction publique, en couple depuis 4 ans). 47Une des explications à ce retrait des femmes renvoie au surinvestissement dans le travail domestique et auprès des enfants ; travail qui prend de plus en plus de place au fil des ans du fait de la constitution de la famille, puis son agrandissement et son entretien (Bozon, 2001a). Leur manque de disponibilité et leur insatisfaction face à la plus faible implication de leur conjoint dans la sphère familiale accentueraient leur retrait de la sphère sexuelle. Car malgré le discours valorisant une prise en charge égale, le travail domestique continue, auprès de ces jeunes couples également, d’incomber majoritairement aux femmes. Indéniablement, cette disparité dans l’implication domestique est un facteur préjudiciable à la sexualité conjugale. Toutefois, cette explication paraît insuffisante puisque la grande majorité des couples n’est pas encore un couple parental. Il faut trouver des registres d’explication complémentaires pour comprendre pourquoi, alors que la période avant la mise en couple se caractérisait par une relative convergence des attentes à l’égard de la sexualité, elles varient ensuite, lors de la cohabitation conjugale. Une moindre socialisation au désir 48Les changements intervenus depuis les années 1960 ont permis que s’enclenche un processus permettant aux femmes de s’affranchir des diktats moraux relatifs à leur sexualité, mais ces dernières continueraient de se rendre désirables, à défaut d’être désirantes. Ce constat nous invite à avancer une nouvelle hypothèse : le maintien d’une conception différenciée de la sexualité entre les femmes et les hommes serait le résultat, pour les premières, d’une moindre socialisation à la composante désirante de la sexualité.  Le « coït discipliné » 49Au fil des siècles, la jouissance féminine a été plus ou moins valorisée selon le rôle qui lui était accordé dans l’acte de procréation. Cependant, même quand elle était encouragée, le mari avait une « mission ordonnatrice », car l’excès de plaisir a toujours paru menaçant. Progressivement, au xix^ème siècle, s’est imposée l’idée que chacun des époux devait être satisfait de l’activité sexuelle partagée : la crainte de l’adultère poussait à concéder quelques caresses (Corbin, 1991 ; Piquard, 2013). Dans le modèle de l’amour romantique, le rapport sexuel devenait une activité du couple amoureux, il contribuait au bonheur conjugal. Toutefois, l’accès des femmes au plaisir restait subordonné à celui de son mari. Les années 1960 marquent un tournant au sens où pour la première fois le droit à la jouissance féminine est pensé en soi ; cette dernière est déconnectée du rapport sexuel, de la relation à l’homme. Toutefois, dans la sexualité conjugale demeure cette idée du « ni trop, ni trop peu » (Bozon, 2018). C’est pourquoi, malgré le fait que depuis quelques décennies, la jouissance féminine fasse partie des indicateurs d’égalité entre les conjoints, l’analyse des comportements sexuels laisse toujours apparaître une forte asymétrie témoignant d’« une grande immobilité des représentations sociales concernant le rôle des hommes et des femmes dans l’interaction sexuelle » (Godelier, 2008, p. 15). Les femmes continuent à moins valoriser la sexualité pour elle-même et à réaffirmer le lien entre sentiments amoureux et sexualité (Bozon, Le Van, 2008, p. 542), en un mot à promouvoir le « modèle de la sexualité conjugale » (Bozon, 2001a). Ce rapide survol des siècles passés témoigne du fait que ce modèle est le résultat d’un processus historique. 50Aujourd’hui encore, une majorité de femmes de mon corpus considèrent que la sexualité est l’expression et le prolongement des sentiments partagés. On pourrait voir là un paradoxe : alors que les femmes associent sexualité et sentiments, elles ne puisent pas dans leurs sentiments amoureux l’envie de faire l’amour. Ce serait là le signe que les sentiments ne sont pas suffisants au surgissement du désir sexuel. La sexualité est, en revanche, mobilisée comme étant un moyen pour réaffirmer leurs sentiments : une vie sexuelle régulière étant le signe d’une bonne entente, la plupart de ces femmes ont une activité sexuelle régulière pour témoigner de leurs sentiments. Au nom des sentiments, toujours, elles attendent de leur conjoint qu’il soit capable de se réfréner. En d’autres termes, les sentiments sont mobilisés pour avoir un contrôle sur la sexualité (ne pas « se donner » trop vite, demander au conjoint de patienter, faire l’amour pour alimenter le lien conjugal). Cependant, ces jeunes femmes, sachant qu’il est important de maintenir une activité sexuelle au sein de leur couple, espèrent que viendra le moment où leur conjoint aura moins souvent envie et qu’il·les trouveront le rythme qui leur permette d’en avoir envie tous les deux en même temps. Pour cela, estiment-elles, il faut laisser le manque s’installer – que le conjoint soit moins demandeur. En attendant, elles sont plutôt dans une position de retrait, considérant que la demande répétée de leur partenaire ne permet pas que leur désir se manifeste. Que faudrait-il pour cela ? Uniquement que leur conjoint soit moins « demandeur » ? Ou qu’elles soient plus désirantes ? Pour cela, il faudrait que la morale qui a encadré la sexualité féminine jusqu’au xx^ème siècle, supposant le réfrènement d’une sexualité désirante du côté des femmes, ait totalement disparue. Or un tel retournement de normes ne peut advenir en l’espace de quelques décennies quand, pendant des siècles, la sexualité des femmes a fait l’objet d’un si fort contrôle ; conduisant l’historien A. Corbin (1991) à parler de « coït discipliné ». Accéder à la dimension désirante 51Dans l’optique d’accéder à une activité sexuelle épanouie (et non pas seulement d’avoir des rapports sexuels), l’envie d’avoir du plaisir, d’entretenir un lien érotique, constitue des éléments essentiels. Or les femmes ont été socialisées de manière à ne pas l’exprimer, à plus refouler ce désir. Les femmes n’ont pas seulement été socialisées de manière plus contraignante à l’égard de la morale sexuelle, leur jouissance était réprouvée, quand, pour les hommes, elle était encouragée (exclusivité sexuelle versus tolérance à l’égard des infidélités des hommes, sentiments préalables à la sexualité versus sexualité en soi, la règle de la retenue versus le besoin à assouvir). Le corollaire d’une socialisation asymétrique à la sexualité a été une moindre disposition de la part des femmes à exprimer du désir sexuel, et à le ressentir comme légitime. Le clivage genré reposerait moins sur le fait que les hommes seraient, eux, capables de dissocier sexe et sentiments, que sur le fait que la morale juge inconvenant que les femmes puissent, elles, éprouver du désir et être actives face à ce désir –tandis que c’est la norme pour les hommes. Contrairement à ces derniers, la socialisation des femmes à la sexualité, dans l’enfance puis plus tard, à partir de leur entrée dans la sexualité active, leur permet plus rarement de s’inscrire dans le modèle du désir individuel, qui promeut « l’activation périodique de la disposition à désirer/être désiré, qui confirme l’individu dans sa continuité » (Bozon, 2001a, p. 19). • 11 L’information est manquante pour deux femmes. Si on inclut les réponses fournies par deux des trois (...) 52Dans mon corpus, le groupe des femmes présente une hétérogénéité puisque deux attitudes apparaissent, comportant chacune une subdivision. 1/ Les femmes qui expriment une attitude de retrait : elles et leur conjoint accordent peu d’importance à l’activité sexuelle, cela est ainsi depuis le début de la relation (ils sont 2 couples dans ce cas-là). Les autres femmes manifestent un moindre engagement dans l’activité sexuelle, tandis que leur conjoint continue de souhaiter un même niveau d’activité sexuelle (14 sur 26). 2/ Les femmes qui continuent à ressentir et à exprimer leur désir sexuel : parmi elles, deux femmes font le constat d’un désir sexuel moins fréquent de la part de leur conjoint et déclarent être plus souvent à l’initiative de l’activité sexuelle du couple, les autres (6) expriment un même niveau de désir sexuel entre les deux conjoints11. Parmi le deuxième groupe, la sexualité est pensée comme un domaine en soi -si c’est mieux avec des sentiments, c’est surtout une affaire de désir- ; dans le premier groupe, la sexualité est subordonnée aux sentiments. Que partagent en commun les femmes qui déclarent éprouver la composante désirante de leur sexualité ? Tout d’abord, cette dernière est vécue comme une activité spécifique, elle n’est pas associée à une activité d’entretien du couple : elle est vécue comme une manière de se réaliser. Dans ce cas, elle peut être interprétée comme une expérience fondamentale de la construction de la subjectivité et du rapport à soi-même (Bozon, 2001b). 53On remarque également que ces femmes ont connu un nombre élevé de partenaires sexuels (généralement plus de 5, souvent plus d’une dizaine). Toutefois, si cette condition est nécessaire, elle n’est pas suffisante. L’élément qui apparaît le plus déterminant est le fait que ces femmes partagent l’expérience d’une sexualité qui a été épanouissante avec de précédents partenaires, a minima avec le conjoint actuel. A un moment de leur vie, elles ont rencontré un partenaire avec lequel construire une relation sexuelle dans laquelle l’échange, la curiosité, l’envie de poursuivre l’exploration de leur désir, a été très prégnante. Ce n’est ni une question d’âge au premier rapport sexuel, ni de conditions de réalisation de ce premier rapport, mais bien de possibilité, à un moment de leur parcours, de découvrir le plaisir, d’accéder à la dimension désirante de la sexualité ; et non de répondre uniquement au désir de leur conjoint ou de chercher à rester désirable. Elles ont été en situation « de définir par et pour elles-mêmes une ‘sexualité’ qui leur est propre, c’est-à-dire pensée par elles et procurant satisfaction », alors que généralement les femmes subissent des processus qui, socialement, les placent dans l’impossibilité d’y parvenir (Andro et al., 2010, p. 9). 54Au terme de quelques années de vie de couple, cette minorité de femmes qui déclare avoir tout autant envie que leur conjoint, parfois plus, de faire l’amour, se caractérise par une conception du couple plus individualiste que familialiste (Santelli, 2018). On retrouve Paloma qui explique que l’amour partagé amplifie la qualité de sa sexualité. Elle avait déjà fait ce constat au cours des précédentes relations, avec ses sex friends comme elle les désigne « Quand j’étais amoureuse de quelqu’un pour la première fois du coup le sexe était vraiment meilleur, et du coup pendant longtemps j’ai recherché ça chez les hommes en fait ». Dans la relation avec Vadim, ce sont les sentiments partagés qui donnent une autre dimension à leurs relations sexuelles « c’était aussi la 1^re fois que depuis longtemps, que quelqu’un me… quand on a des relations sexuelles avec certains de ses amis ou des potes […] il n’y a pas ce partage [comme avec Vadim] où en fait lui il me trouve... il me dit- il me trouve toujours bien en fait, il me rassure ». (22 ans, étudiante, en couple depuis 2,5 ans) 55Dans la même phrase, Paloma explique comment Vadim « est devenu son ami » et le fait qu’il est le premier homme avec qui elle a eu un orgasme. Ces deux composantes, amicale et désirante, ne sont donc pas exclusives. Au contraire, les sentiments partagés donnent envie d’explorer la composante désirante de l’amour, qui procure cette intensité à leur activité sexuelle, et alimente leur relation. Les hommes témoignent également de l’importance des sentiments, de l’entente, de leur projection dans une vie conjugale stable. Mais ces derniers, à la différence des femmes, ont été socialisés dans la perspective d’explorer la composante désirante, elle fait partie intégrante de leur sexualité : désirer, et pas seulement vouloir être désiré ; être actif, et pas seulement attendre que l’autre vienne combler son désir. 56L’approche biographique montre que l’attitude de ces jeunes femmes à l’égard de la composante désirante n’est pas non plus immuable tout au long de leur parcours. Certaines ont pu connaître de nombreuses relations sexuelles et privilégier le registre sexuel au domaine sentimental et néanmoins s’engager dans une relation ne comportant pas (ou moins) cette dimension désirante. Il n’est donc guère surprenant qu’au terme de quelques années de vie de couple, elle soit encore moins présente. Lors de la projection dans une vie de couple (avec la perspective de vivre ensemble, de fonder une famille), il semblerait que ces jeunes femmes aient accordé une moindre importance à cette composante. La vie quotidienne s’est ensuite chargée de la rendre plus secondaire. D’autres préoccupations passeraient au premier plan (se consacrer à sa carrière professionnelle – dans certains milieux, cela devient pour les femmes une préoccupation majeure –, se charger de l’organisation domestique, prendre du temps pour soi puis se dédier à ses enfants…), confortant ainsi les rôles sexués au gré du parcours de vie. Jeanne, durant sa jeunesse, a eu de nombreuses relations sexuelles, elle privilégiait alors le registre sexuel au domaine sentimental. Au début de sa relation avec Stéphane elle a aimé faire souvent l’amour avec lui, même si elle dit qu’au moment de la rencontre ce n’est pas l’attirance sexuelle qui a primé. Dans la période qui précède la rencontre, Jeanne explique qu’elle commençait à penser au couple, à l’envie s’engager dans « quelque chose de plus posé », les copines se mettaient en couple et elle commençait à se sentir seule. En comparaison au début de leur relation, elle fait le constat de son retrait : « Alors avant c’était tous les jours, maintenant [rire] c’est une fois par semaine à peu près […] je sais qu’il aimerait bien que ça soit plus souvent mais après, pour le coup, c’est moi qui bloque […] Je rentre du boulot je suis fatiguée […] je sais pas si c’est le rythme qui a changé, si c’est moi qui ait changée mais... ouais, il n’y a plus autant je pense aussi de... j’allais dire de désir mais enfin ce n’est pas ça, c’est que j’y pense moins en fait, je ne suis plus dans cette optique-là entre guillemets […] Pour moi ce n’est pas quelque chose qui structure la relation » (Jeanne, 25 ans, étudiante, en couple depuis 4,5 ans) 57A d’autres périodes de leur parcours, on peut imaginer que cette composante désirante pourrait à nouveau prendre plus d’importance. La sexualité devrait être, elle aussi, étudiée dans une perspective temporelle afin de l’analyser comme un processus qui permet de comprendre comment, au fil du temps, elle se transforme sur un plan à la fois individuel et conjugal. Conclusion 58Les dynamiques temporelles, un des principes de l’analyse des parcours (Santelli, 2019), se révèlent utiles pour comprendre un double mouvement, apparemment contradictoire : le fait que la socialisation des femmes au désir est indéniablement plus importante que pour les femmes des générations passées et le maintien d’une forte asymétrie genrée à l’égard de l’activité sexuelle. Alors qu’au niveau macro, on observe une dissociation de plus en plus nette entre sentiments et sexualités, au niveau micro, cela ne signifie pas que toutes les femmes en font l’expérience ou qu’elles en ont une expérience similaire. L’enquête a montré que, bien que les femmes occidentales aient acquis en principe le droit de disposer de leur corps, l’observation de la sexualité conjugale montre qu’il n’est pas toujours facile de dire « non » à son conjoint. Au terme de plusieurs années de vie de couple, on constate un relatif désintérêt d’une partie des femmes pour les rapports sexuels et, dans le même temps, leur quête pour atteindre un équilibre (ne pas se forcer, mais ne pas frustrer non plus leur conjoint). Car si la grande majorité des femmes dit vouloir une sexualité qui les satisfasse elles aussi – et c’est là une affirmation qui les distingue des générations précédentes –, la sexualité demeure souvent une activité domestique, une façon de maintenir le lien conjugal, plutôt qu’une activité d’expression de soi. La composante désirante est d’ailleurs peu présente dans le cadre de l’amour conjugal : tout comme la composante passionnelle, elles ne sont pas des composantes déterminantes de la construction conjugale (Santelli, 2018). • 12 Outre l’entrée dans la parentalité (explication insuffisante car ils ne sont que 5 couples concerné (...) • 13 Il faudrait une enquête dédiée – projet en cours de réalisation – car si les interviewés ont finale (...) 59Il en va différemment de l’activité sexuelle (le fait d’avoir un rapport sexuel sans qu’il y ait nécessairement désir sexuel) : le fait de vivre en couple implique une pratique régulière, mais ce sont les hommes qui, le plus souvent, en sont à l’initiative. Certes, ces derniers sont à présent plus souvent soumis au rôle de donner du plaisir à leur compagne (Ferrand et al., 2008, p. 368), mais la moindre socialisation des femmes à la composante désirante de la sexualité limite l’expression de leur désir et leur aspiration à ressentir du plaisir. C’est en tout cas l’hypothèse à laquelle cet article aboutit. Car certes le couple conjugal implique une routine quotidienne et domestique qui n’est pas favorable à la composante désirante12, mais ce n’est probablement pas la seule explication car les hommes continuent eux à exprimer leur désir. On peut aussi s’interroger sur l’écart probablement grandissant au fil des années entre les attentes féminines et masculines à l’égard de la sexualité. Cette enquête n’a pas les moyens d’apporter de plus amples réponses 13. Celle de M.-L. Deroff (2007, p. 138), conduite auprès d’individus pour partie plus âgés, souligne un clivage fort à propos de la conjugalisation de la sexualité : tandis que pour les femmes, « le couple semble pouvoir être le lieu de toutes les sexualités, il serait pour les hommes le lieu d’une sexualité ». En d’autres termes, une fois en couple, les hommes seraient moins exigeants que les femmes, moins attentifs à entretenir la séduction et à développer un ars erotica. Cet écart expliquerait que ces dernières expriment plus de regrets et une plus grande insatisfaction à l’égard de ce qu’est devenue leur sexualité dans le couple. 60D’autres enquêtes permettraient d’étudier comment la sexualité conjugale évolue au terme de plusieurs années de vie commune. Elles permettraient de tester une des hypothèses suggérées dans le travail de M.-L. Deroff (2007) : les pratiques sexuelles féminines se seraient plus transformées que ne le suggèrent les discours. Ainsi « les divergences qui perdurent […] [seraient] davantage l’expression d’une conformation des femmes aux représentations dominantes des sexualités féminines […] car les femmes mesurent les limites de la légitimité accordée [à déclarer le choix du sexe pour le sexe] » (p. 122). Cette hypothèse viendrait contredire celle formulée dans cet article, celle d’une moindre socialisation féminine à la composante désirante de la sexualité. Toutefois, la population n’est pas identique : être ou non en couple au moment de l’enquête modifie le vécu et la perception des pratiques sexuelles passées, et les projections. Dans l’enquête de M.-L. Deroff, la moitié des femmes sont célibataires au moment de l’enquête. Dans le corpus mobilisé pour cet article, toutes les femmes sont en couple, elles ne sont pas non plus au même stade de leur cycle de vie dans les deux enquêtes. L’analyse des parcours mobilisée ici, pour tenter de comprendre leur relatif désintérêt - alors que les luttes féministes ont permis des avancées considérables dans le domaine de la sexualité-, pourrait continuer à être appliquée dans de futures investigations pour parvenir à montrer qu’au-delà des différences entre les hommes et les femmes, il en existe aussi parmi ces dernières. 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Laporte (2008), ainsi que de nombreuses productions artistiques. 2 L’enquête réalisée auprès de « jeunes couples », en raison à la fois du caractère récent de l’union ( à 5 ans) et de l’âge des conjoints ( à 35 ans), cherchait à comprendre le passage du « couple établi » (qui partage une relation amoureuse stable) au « couple qui s’installe » (matérialisé par la décision de partager un même logement, de se marier ou pacser et/ou d’avoir un enfant). Voir l’encadré méthodologique. 3 Le fait que les pratiques sexuelles puissent être déconnectées des sentiments. 4 Cette transformation radicale s’appuie, en amont, sur la diffusion des modes de contraception : elle implique de dissocier la sexualité de la procréation. 5 Les entretiens réalisés auprès de descendants d’immigrés (Collet, Santelli, 2012) ou, dans cette enquête, auprès de personnes musulmanes, montrent que les femmes restent soumises au principe de la virginité jusqu’au mariage, à tout le moins un principe de retenue. Elles sont quatre dans notre corpus, dont deux ont contracté un mariage avec leur cousin ; l’une d’elles déclare avoir été amoureuse de ce dernier depuis son enfance. Deux d’entre elles sont sans emploi, les deux autres font partie de la catégorie « employés ». 6 A la question sur le nombre de partenaires, une gêne était perceptible auprès des femmes qui en déclaraient plus d’une dizaine. Paloma a par exemple ajouté, sur un mode interrogatif, « entre 15 et 25, il paraît que c’est beaucoup ». 7 A l’exception d’un couple dans lequel, pour les deux conjoints, ce n’est pas le « meilleur partenaire ». 8 Par effet de construction de l’échantillon, ces couples ont une ancienneté de moins de 6 ans. 9 Nous ne considérons là que la sexualité qui se déroule dans la sphère conjugale car, à ce stade de la relation (les couples ont en moyenne 4 ans), les relations extra-conjugales sont très rares (seul un enquêté en a évoqué une, et ce dernier et un autre couple s’interrogent sur la possibilité d’une situation de polyamour). L’exclusivité sexuelle demeure une norme très forte parmi ces jeunes couples ; son non-respect est régulièrement associé à la possibilité d’une rupture conjugale.. 10 Résultat qui met en évidence le fait que « […] les logiques du genre et des rapports de sexe organisent pour une large part les pratiques sexuelles, entre autres pratiques sociales » (Clair, 2013, p. 113). 11 L’information est manquante pour deux femmes. Si on inclut les réponses fournies par deux des trois hommes dont les conjointes n’ont pas participé à l’enquête, on pourrait en ajouter une dans chacun de ces deux groupes. 12 Outre l’entrée dans la parentalité (explication insuffisante car ils ne sont que 5 couples concernés), le stress lié au rythme de travail, la peur de la précarité, la fatigue quotidienne sont déjà mentionnés par la plupart de ces jeunes couples pour indiquer une baisse de la fréquence des rapports sexuels. 13 Il faudrait une enquête dédiée – projet en cours de réalisation – car si les interviewés ont finalement parlé facilement de leur sexualité, de la place qu’elle occupe dans leur couple, la présente enquête n’a pas abordé la question des pratiques sexuelles. Haut de page Pour citer cet article Référence électronique Emmanuelle Santelli, « De la jeunesse sexuelle à la sexualité conjugale, des femmes en retrait », Genre, sexualité & société [En ligne], 20 | Automne 2018, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 21 décembre 2019. URL : http:// journals.openedition.org/gss/5079 ; DOI : 10.4000/gss.5079 Haut de page Auteur Emmanuelle Santelli Directrice de recherche CNRS, Institut des Sciences de l’Homme, Centre Max Weber emmanuelle.santelli@ish-lyon.cnrs.fr Haut de page Droits d’auteur Licence Creative Commons Genre, sexualité et société est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. 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