Le monde est un lieu hostile présentant un nombre hallucinant de beaux-parents. Statistiquement, déjà, les géniteurs du copain sont deux. Alors qu’on est seule. Multiplions par environ cinq relations sérieuses par vie : DIX BEAUX-PARENTS. Et nous ? Toujours seule. C’est bien la preuve que dès le départ, le rapport de force est foireux. Mais pourquoi tant de méfiance ?
La première rencontre avec la famille, comme chacune sait, constitue une épreuve du feu pour le couple. Dans les contes on parle d’affronter le dragon, or on sait bien que le dragon est le symbole classique et international du beau-papa (il suffit de noter les points communs : fumée qui sort du nez, peau écailleuse, habite dans une grotte). Alors que le château fort représente la belle-maman (force protectrice, murailles inaccessibles, personnalité labyrinthique, architecture charmante cachant un maillage de grilles, de pointes et de douves).
Vient donc le moment où il faut (quand même) aller affronter le dragon et le château. Parce que ça ferait plaisir de passer ses dimanches avec le copain plutôt que chez notre propre maman, ou parce qu’un événement l’exige, ou parce que c’est l’usage quand on commence à prendre un prêt immobilier en commun échelonné sur vingt-cinq ans. Normalement, on ne lance pas les hostilités lors de la première rencontre. Il y a de la bonne volonté mutuelle. Mais il y a aussi des attentes divergentes :
– Les beaux-parents attendent généralement de devenir grands-parents. Ils cherchent une bonne mère. Qui ait envie de passer ses dimanches chez eux (et dans ce but ils sont prêts à préparer des mousses au chocolat, autant dire l’armement lourd de la séduction). Leur premier mouvement, c’est un scan génétique. Sera-t-on assez mignonne, intelligente, en bonne santé, pour mériter leur fils alias Le Messie ? C’est possible, mais c’est plus difficile que de passer le permis de conduire que j’ai raté quatre fois.
– De notre côté, on se tourne vers un autre type de futur. Les beaux-parents, c’est l’image de notre mec à 50 ou 60 ans. On ne guette pas les qualités mais les défauts : calvitie, varices, peau grise, répartition graisseuse, aigreur. On découvre aussi d’où vient le copain : ses parents sont-ils de gros beaufs ou des bobos ? Ont-ils coupé le cordon ? Aurez-vous droit à la chambre du fils-prodige, intacte, avec ses peluches poussiéreuses n’ayant pas posé leurs yeux de plastique sur un être humain depuis dix ans ?
Le problème n’est pas l’absence d’amour. C’est le trop-plein. On se retrouve propulsée dans un triangle amoureux où les parents et nous, on aime la même personne, quoique différemment. Attachement filial contre passion des débuts : on a les endorphines, ils ont déjà vécu vingt ans ensemble. Ils vous regardent comme la nouvelle épouse dans une relation polygame, vous savez que vous avez un paquet de choses à prouver. Et a priori, si quelqu’un dégage à un moment… ce sera vous. Normal que la tension se fasse sentir.
Bons sentiments aidant, ça se passe bien. La plupart du temps. (1. Proposer de faire la vaisselle (ils refuseront). 2. Dire du bien du chien (même si vous détestez les chiens). 3. Pas de politique.)
J’ai eu une belle-mère catho intégriste à qui j’ai moyennement plu. J’ai eu des beaux-parents bourrés de fric qui embrassaient leur fils sur la bouche devant moi. J’ai eu une belle-mère qui me faisait des cadeaux pour l’anniversaire de son fils. J’ai eu des repas de cinq heures, allez, encore un petit cognac ? J’ai eu des 25 décembre chouettes, dans une famille que j’aimais bien, même si je ne leur ai pas trop dit. J’ai eu des copains qui planquaient leurs parents comme la peste.
Quand j’aimais vraiment le garçon, généralement, j’aimais bien les parents aussi. Mais toujours sous tension. Sans jamais oser tomber le masque. Ce serait cool pourtant, de tomber amoureuse aussi de la famille de son mec, non ?