Le premier, dirigé par Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky (à laquelle nous devons déjà un remarquable ouvrage sur cette question, publié chez Aubier en 1998 sous le titre de Le pouvoir est dans la rue. Crises politiques et manifestations en France) privilégie une approche nettement historique, et s’intéresse aux processus concrets de mobilisations collectives, en se proposant d’en évaluer le rôle, en interaction avec d’autres, dans la configuration de la France du XIXe siècle à nos jours. Par là, il vient combler une importante lacune car, si nous disposions déjà d’un ouvrage de synthèse écrit par l’une des figures majeures de la sociologie américaine des mouvementssociaux - à savoir Charles Tilly   , lequel s’est aussi essayé à écrire une histoire des mouvementssociaux à l’échelle mondiale dans un livre de format relativement modeste, devenu un classique du genre   –, et si nous disposions également d’un ouvrage répertoriant l’ensemble des concepts et des notions de la sociologie des mouvementssociaux, visant à en expliquer l’origine et le développement, à en préciser les usages et à exposer les débats qu’ils suscitent   , il manquait un ouvrage réalisant la synthèse de ces deux types d’approche. C’est cette tâche que s’efforce de mener à bien le volume d’Histoire des mouvementssociaux en France de 1814 à nos jours, en décrivant par le menu tous les mouvementssociaux qui ont pu agiter la France depuis deux siècles – des révolutions aux émeutes, en passant par les rébellions, les grèves, les pétitions, etc. –, sans rien ignorer des apports conceptuels et méthodologiques de la sociologie des mouvementssociaux, dont plusieurs des principaux contributeurs en France figurent parmi les auteurs. La difficulté principale que rencontre un tel projet tient bien entendu à la délimitation conceptuelle de son objet. Qu’est-ce en effet qu’un mouvementsocial ? Les différentes définitions des mouvementssociaux disponibles dans la littérature sociologique mettent l’accent, selon les auteurs, sur telle ou telle de leurs composantes   . Une première composante fondamentale d’un mouvementsocial est sa dimension collective – ce qui explique que la notion d’action collective soit généralement utilisée en synonyme de mouvementsocial. Les actions individuelles de résistance et de révolte, déconnectées de tout support ou cadre collectif, comme celles qu’analysent James Scott et Asef Bayat dans des ouvrages au demeurant passionnants   , quels que puissent être les effets d’agrégation qu’elles induisent, ne relèvent pas stricto sensu de la sociologie des mouvementssociaux en ce que manque toute dimension d’action concertée. En outre, de nombreuses définitions des mouvementssociaux associent, selon des combinaisons variables, ces différents traits constitutifs que seraient une dimension perturbatrice, une exclusion du jeu politique "légitime" ou "institutionnel", et un recours privilégié au sein des couches sociales "dominées". L’action collective protestataire serait un des rares registres d’intervention dans le jeu politique accessibles aux groupes exclus du système politique, une "arme des faibles" en quelque sorte, permettant aux "sans voix" (aux "challengers", comme le dit Charles Tilly) de se faire entendre lorsque les voies d’expression politique ordinaires – c’est-à-dire, en premier lieu, par la délégation électorale – leur sont fermées.                -- -- En outre, de nombreuses définitions des mouvementssociaux associent, selon des combinaisons variables, ces différents traits constitutifs que seraient une dimension perturbatrice, une exclusion du jeu politique "légitime" ou "institutionnel", et un recours privilégié au sein des couches sociales "dominées". L’action collective protestataire serait un des rares registres d’intervention dans le jeu politique accessibles aux groupes exclus du système politique, une "arme des faibles" en quelque sorte, permettant aux "sans voix" (aux "challengers", comme le dit Charles Tilly) de se faire entendre lorsque les voies d’expression politique ordinaires – c’est-à-dire, en premier lieu, par la délégation électorale – leur sont fermées.                Il va de soi que ces composantes définitionnelles du concept de mouvementsocial font l’objet d’un débat permanent entre spécialistes des sciences sociales et philosophes, notamment au sujet de la seconde composante, qui est de toute évidence emprunte d’une vision légitimiste très discutable : considérer que l’action des mouvementssociaux relève d’une forme non conventionnelle de participation politique, c’est la poser dans un rapport défavorable, et de moindre légitimité, avec les formes supposées conventionnelles et pleinement légitimes de participation, c’est-à-dire le vote. Mais un autre débat, plus central peut-être, a longtemps divisé le champ de recherche dédié aux mouvementssociaux, portant sur la question de savoir si ce que l’on a appelé les nouveaux mouvementssociaux (NMS) renvoyaient à une réalité historique, ou ne constituaient qu’une construction de sociologue. Le paradigme des nouveaux mouvementssociaux s’est développé dans deux registres, en faisant aller de pair les analyses macrosociologiques sur les transformations de la société post-industrielle et de la culture post-matérialiste, et des analyses microsociologiques sur les inventions de nouveaux schémas culturels, styles de vie et référents d’identité par des individus et des collectifs. Selon ce paradigme, nous serions sortis d’un système d’historicité et de conflictualité centré autour de l’économie productive et de la classe ouvrière, des luttes des organisations syndicales pour l’augmentation des salaires et de la redistribution des richesses par l’Etat social. Les nouveaux mouvementssociaux tendraient à se substituer aux partis et syndicats de gauche, en recourant à des tactiques de mobilisation de résistance et de protestations distinctes de la classe ouvrière, laquelle, du fait de son institutionnalisation, aurait cessé d’être l’acteur central des changements sociaux. Mai 68, de ce point de vue, signerait l’entrée dans ce nouveau système d’action historique.