avec la crise sanitaire Laurent-Henri Vignaud, historien spécialiste des mouvements « antivax », fait le bilan de trois mois de rumeurs sur les vaccins, en pleine crise du coronavirus. Propos recueillis par William Audureau -- l’actrice Juliette Binoche ou le rappeur Booba. Laurent-Henri Vignaud, historien des sciences à l’université de Bourgogne, est coauteur avec Françoise Salvadori d’Antivax : la résistance aux vaccins du XVIII^e siècle à nos jours (Vendémiaire, 2019). Il dresse le bilan de cette séquence de rumeurs anxiogènes, et les remet en perspective. -- C’est ce que tend à montrer une étude publiée dans Nature [sur la place respective des discours pro et antivaccin sur Facebook depuis le début de la pandémie]. Celle-ci conclut que les « antivax », très bruyants, ont réussi à convaincre une grande partie des hésitants, alors que les « provax » se marginalisaient. Mais il faut rester prudent sur ce genre d’études construites à partir des réseaux sociaux. -- Ce qui est certain, c’est qu’un monde surinformé, c’est aussi un monde surintoxiqué. Le Covid-19 en offre une parfaite illustration : tandis que certains parlent d’un vaccin dès la rentrée, ce qui est irréalisable quand on connaît les processus, les antivax spéculent déjà à l’envi : il sera inefficace, néfaste, obligatoire… La question de son caractère obligatoire est d’ailleurs très française. -- Dans les pays occidentaux, les arguments sont toujours à peu près les mêmes. La vaccine, qui est le premier vaccin inventé par Edward Jenner [au XIX^e siècle], a été mondialisée en quelques années au début du XIX^e siècle, et le discours antivax s’est lui-même mondialisé très rapidement. L’internationale antivax est aujourd’hui comme un poisson dans l’eau avec les réseaux sociaux. On l’a vu avec le rappeur Booba, qui a partagé en France un documentaire américain [Vaxxed] basé sur la polémique Wakefield [Andrew Wakefield, chercheur britannique contesté -- internationales. Le bonhomme était déjà connu. Ce qui est inédit, c’est la combinaison du classique – le capitaliste qui vend des vaccins inutiles – avec le nouveau – le geek –, qui veut glisser des puces de contrôle mental sous la peau. Pour les antivax, c’est merveilleux : Bill Gates représente Big Brother et Big Pharma dans la même personne ! Le vaccin anti-Covid devient hybride lui aussi, on l’accuse d’être à la fois inefficace et dangereux d’un côté, et espion de l’autre. -- Lire aussi Coronavirus : en Afrique, la défiance contre les vaccins nourrie par le souvenir des scandales médicaux Quelle est la part de faits avérés et d’infox dans les discours antivax qui ont circulé ? Le fameux vaccin qui serait préparé à partir de cellules de fœtus a effectivement été conçu, dans les années 1960, à partir d’avortements thérapeutiques et de prélèvements de cellules. Mais ce sont les descendantes de ces cellules que l’on utilise aujourd’hui. Quand les milieux antivax catholiques disent que l’on utilise des fœtus avortés pour fabriquer ce vaccin, c’est donc approximativement vrai et techniquement faux. Le diable est dans les détails ! Le bon menteur, c’est celui qui s’appuie sur 80 % de vérité pour y glisser 20 % de -- environnementales, etc., des maladies ont pu reculer, mais c’est le vaccin qui a permis de quasiment les éradiquer. Tout l’art de la manipulation, de l’argumentation antivax consiste à aboutir, à partir de ces faits réels, à des discussions fausses ou discutables. -- privés, ils préfèrent les produits high-tech, vendus très cher. Ils ont une logique capitaliste de profit. Un exemple peut venir à l’esprit des antivax les mieux informés : celui des vaccins combinés apparus dans les années 1980. C’était une grande avancée, notamment pour les enfants, mais elle rendait aussi obsolète la production des vaccins à souche unique, peu coûteux. L’industrie -- vaccin qui avait la préférence du marché tout en redéposant de nouveaux brevets, ce qui lui a permis de vendre ces vaccins combinés plus cher. Certains antivax en font la critique. Si c’est pour dire que cela crée de l’autisme, c’est du pur délire. Mais affirmer qu’ils posent question d’un point de vue économique, ce n’est pas délirant. Cependant, ils sont aussi avantageux du point de vue du consommateur : ils sont plus sûrs, plus efficaces. La place prise par le discours antivax peut-elle représenter un danger pour la seconde phase de la lutte contre le Covid-19 ? Je suis historien, pas sociologue, mais, à mon sens, le mouvement antivax reste marginal. Historiquement, ses militants ont pu obtenir des victoires, mais ils n’ont jamais empêché les Etats et les sociétés de vacciner. Dans les situations de menaces épidémiques réelles, il y a une demande. Si le Covid-19 revient, le problème, ce ne sera pas les antivax, que vous ne convaincrez jamais, mais de réussir à produire assez de doses de vaccins pour tout le monde. Et le jour où le vaccin sera là, il faudra surtout se demander à qui le donner en priorité, évaluer les