Les antivax « classiques » sont-ils les mêmes que ceux qui refusent le vaccin contre le Covid-19 ?

De nombreux réfractaires à la campagne de vaccination actuelle assurent ne pas être antivaccins. Pour les experts, leurs discours s’en rapprochent pourtant.

Propos recueillis par

Publié le 18 septembre 2021 à 01h36 - Mis à jour le 18 septembre 2021 à 05h27

Temps de Lecture 6 min.

Dans la manifestation anti-passe sanitaire, à Paris, le 11 septembre 2021.

« Je ne suis pas antivaccin, je suis contre ce sérum expérimental. » Ces derniers mois, qui n’a pas entendu cet argument dans la bouche d’un proche refusant les vaccins contre le Covid-19 ? Nombre d’entre eux précisent qu’ils ont accepté la plupart des vaccins classiques.

« C’est une caractéristique majeure du vaccinoscepticisme contemporain, qui date des années 1970-1980. Les vaccins historiques sont considérés comme sûrs et acceptés, les petits nouveaux rejetés », analyse Laurent-Henri Vignaud, historien à l’université de Bourgogne et coauteur d’Antivax : la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours (Vendemiaire, 2019). Toutefois, quoi qu’en disent les opposants à la politique vaccinale actuelle, la continuité des arguments avec celui des antivax historiques est plutôt probante, même si elle n’est pas totale.

Une importante continuité…

  • D’hier à aujourd’hui, les mêmes territoires antivaccin

Comme l’a relevé la géographe de la santé Lucie Guimier, la carte de la défiance contre la vaccination anti-Covid-19 se superpose de manière troublante à celle de la défiance vaccinale historique, avec des poches de résistance qui se situent essentiellement dans la moitié sud-ouest du pays, autour d’un axe Cherbourg-Nice.

Les explications sont autant politiques que culturelles. « Dans le Sud-Est, on a un vote écologiste et Rassemblement national [RN] très fort, deux spectres politiques historiquement pourvoyeurs d’antivax en France (…) Cet électorat RN en Provence-Alpes-Côte d’Azur est largement composé de professions libérales, chez qui la question de la liberté individuelle, notamment en termes de santé, est très prégnante », relève Lucie Guimier, interrogée par Franceinfo.

La crise du Covid-19 n’a fait qu’accentuer ces clivages. Les questions identitaires et la fierté régionale ont été tout particulièrement vectrices de défiance dans les Bouches-du-Rhône, en raison des prises de position très médiatiques de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille. « [Le professeur] Didier Raoult [à la tête de l’IHU] est devenu une icône locale et cela a créé un positionnement identitaire visant à résister à ce que Paris veut nous imposer” », décrypte la géographe.

  • L’éternel manque de recul

Cette continuité se retrouve également dans les argumentaires déployés depuis des mois. « Le vaccin qui causerait la mort de la personne inoculée, ou qui infuserait des effets secondaires à long terme dont la science ne sait encore rien ; les discours sur l’immunité naturelle, pour qui il suffit de se confronter à la souche virale pour que le corps fasse le reste ; ou encore les conflits d’intérêts supposés entre les décideurs et les grands laboratoires pharmaceutiques ; tout cela, c’est du grand classique », observe Romy Sauvayre, maîtresse de conférences en sociologie, spécialiste des croyances médicales.

L’argument du manque de recul sur des produits expérimentaux n’est pas nouveau non plus. « Au moment de l’invention du premier vaccin, la vaccine, découverte en 1796 par Jenner pour lutter contre la variole, le premier argument a été de le comparer défavorablement à une technique plus archaïque, la variolisation, et aussi plus dangereuse mais qui, parce qu’elle était en usage depuis soixante-dix ans, était acceptée par les médecins et la population comme un remède éprouvé », explique Laurent-Henri Vignaud.

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Qu’il s’agisse des vaccins à germes entiers, à vecteur viral, ou, aujourd’hui, à ARN messager, « toutes les technologies nouvelles ont suscité de la méfiance, ajoute l’historien. C’est toujours le petit dernier de la bande dont on ne veut pas, comme l’hépatite B en 1998 ou la grippe A en 2009 ».

  • Querelle statistique et recension des morts

L’insistance sur les échecs et accidents vaccinaux est aussi un procédé classique. En août 2021, le sociologue de la criminalité Laurent Mucchielli a publié une analyse comportant de nombreux biais méthodologiques, qui présentait les chiffres de pharmacovigilance comme preuve de danger des vaccins anti-Covid-19.

« La querelle statistique accompagne l’histoire de la vaccination depuis l’origine, explique M. Vignaud. Comme les vaccins ont été utilisés plus d’un siècle avant que l’on sache comment ils marchent, l’argument sur leur efficacité a reposé sur l’interprétation de statistiques et de tables de mortalité très complexes à construire et à comprendre. »

Les exemples précis d’effets secondaires ou de décès, parfois authentiques, parfois montés de toutes pièces, sont aussi partagés de longue date. « Au XIXe siècle, les antivax collectent le moindre accident dans le monde entier. Un antivax anglais ou belge est capable de citer des cas de morts après vaccins survenus dans un village russe, australien ou mexicain ! », rappelle Laurent-Henri Vignaud, citant le cas extrême d’un album anglais de 1920, rempli de nouveau-nés photographiés dans leur cercueil avec la date de naissance, la date d’injection et la date de mort.

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Le recours sélectif à la science est également un marqueur classique. « Quand on voit les antivax contre la rougeole, ils rejettent tous les scientifiques sauf ceux qui considèrent le vaccin ROR comme nocif », rappelle Romy Sauvayre. De la même façon, en 2021, une chaîne complotiste pro-QAnon comme Les DéQodeurs peut convoquer le très controversé Luc Montagnier, ancien prix Nobel (2008) décrié depuis douze ans par la communauté scientifique, pour contester l’opportunité de la vaccination.

En reprenant tous ces types d’arguments, « ceux qui assurent ne pas être antivax le sont la plupart du temps, à l’insu de leur plein gré », conclut M. Vignaud. Toutefois, les opposants à la vaccination contre le Covid-19 ont introduit quelques nuances et nouveautés.

… mais l’équivalence n’est pas totale

Même si elle en épouse globalement la même répartition territoriale, la population réfractaire aux vaccins contre le Covid-19 est plus large que la base antivax traditionnelle.

« Dès l’automne 2020, nous avons mesuré chez les soignants que certains d’entre eux se faisaient vacciner contre la grippe mais prévoyaient de ne pas le faire pour le Covid. C’est circonscrit à la crainte des effets secondaires. Celle-ci dépend en partie des discours sur lesquels on tombe sur les réseaux sociaux par exemple les rumeurs sur la 5G, les différentes théories du complot », explique Romy Sauvayre.

Selon une étude d’opinion publiée par le cabinet Odoxa le 1er juillet 2021, 8 % des personnes interrogées prévoyaient de ne « probablement pas » se faire vacciner contre le Covid-19, et 11 % assuraient qu’elles ne se feraient « certainement pas » vacciner. C’est bien davantage que les estimations des chercheurs, qui considèrent que moins de 5 % de la population française est considérée comme antivax à proprement parler.

  • Des rumeurs qui mutent et se modernisent

Certains opposants à la vaccination contre le Covid-19 développent une grappe d’arguments en apparence inédits. « La 5G et l’effet magnétique, je ne crois pas l’avoir vu avant, note par exemple Romy Sauvayre, sociologue des croyances. Comme toutes les croyances, les théories antivaccins mutent, elles s’adaptent à notre quotidien, comme les rumeurs. On devance même la technologie, on imagine qu’on est capable de faire des objets tellement petits qu’ils pourraient passer à travers une seringue ou, plus original, on imagine que le vaccin déformerait le génome. »

Décryptage : Nanoparticules et vaccins contre le Covid-19 : cinq questions pour démêler le vrai du faux

Une nouveauté qu’il importe toutefois de nuancer. Si la référence à la 5G s’explique par l’évolution des infrastructures de communication, la hantise d’un implant sous-cutané est un classique de l’imaginaire conspirationniste, que l’on retrouve dès le premier épisode de la série fantastique X-Files, en 1993.

  • D’anciens arguments devenus obsolètes

Au final, si l’argumentaire actuel se distingue de ceux qui l’ont précédé, c’est moins par des munitions rhétoriques nouvelles que par l’abandon de certaines obsessions.

Ainsi, la question des adjuvants, longtemps centrale dans le discours antivax contemporain, a presque totalement disparu car ces substances ne sont pas présentes dans les vaccins à ARN messager.

C’est aussi la raison pour laquelle certaines figures du combat antivax sont étrangement absentes des débats actuels. « Il leur faudrait en quelque sorte se reconvertir et passer d’experts en adjuvants à experts en ARN, ça demande du temps, rappelle Laurent-Henri Vignaud, et certains n’en voient pas l’intérêt car ils sont parfois convaincus sincèrement que seuls les adjuvants présentent un danger et ne s’intéressent pas au reste. » Ce sont peut-être les seuls antivax vaccinés contre le Covid-19.

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