Avec la course effrénée pour trouver un remède contre le Covid-19 resurgissent les débats sur la vaccination, particulièrement virulents en France. Selon plusieurs études récentes, le nombre de Français refusant l’idée de se faire vacciner contre cette maladie serait plus élevé qu’aux Etats-Unis et que dans la plupart des pays européens.
Dans la dernière enquête « Fractures françaises » publiée par Le Monde en septembre – et réalisée par Ipsos –, 43 % des sondés s’y opposaient.
« Les Français ne sont pas tellement plus opposés aux vaccins que le reste du monde occidental, mais ils sont plus sceptiques que d’autres peuples en général. C’est cette défiance généralisée qu’ils expriment à travers leur réponse aux sondages sur les vaccins », fait valoir Laurent-Henri Vignaud, historien des sciences à l’université de Bourgogne et coauteur de l’ouvrage Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours (Vendémiaire, 2019). Il a répondu à vos questions, vendredi 13 novembre, sur les origines de cette défiance.
Axl : A quand remontent les premiers mouvements ou publication antivaccin ?
Dès qu’il y a eu vaccin (et même avant le premier vaccin, avec l’inoculation variolique – un procédé proche du vaccin – au XVIIIe siècle), il y a eu des « antivaccins ». Cette doctrine est née chez des médecins, de par leur refus de ce remède nouveau, connu en Occident seulement à partir du siècle des Lumières.
Le premier « vrai » vaccin est la vaccine, inventée par Edward Jenner dans les années 1790. Dès lors, un certain nombre de médecins dissidents ont refusé de croire à l’efficacité du procédé et ont insisté sur sa dangerosité. A chaque étape de la science vaccinale, même après Koch et Pasteur, une petite partie du corps médical et de l’opinion a continué de critiquer ce médicament préventif.
FFF : Les différents mouvements antivax sont-ils organisés ?
Il existe en effet des différences de degré et de nature. Avoir des doutes et hésiter (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) sur tel ou tel vaccin n’est pas pareil que forger une théorie du complot qui vous amène à refuser purement et simplement tous les vaccins. Au-delà des différences d’intensité et de nature, certains arguments sont récurrents dans les discours antivax.
La croyance en un destin préécrit, une opposition tranchée entre nature et culture, des croyances en diverses théories médicales marginales, une méfiance envers l’Etat Big Brother et l’industrie Big Pharma sont les arguments qui reviennent fréquemment. Certains de ces courants sont structurés et portés par des militants aguerris, d’autres sont de simples opinions assez répandues dans la population…
Pikouze : Est-ce que la défiance des Français envers les vaccins vient de leur absence de confiance dans les laboratoires et les décisions politiques ?
L’antivaccinisme contemporain est en effet principalement « économique » et « politique ». Ainsi, les 40 % de Français qui se disent incertains de la sûreté des vaccins ne sont pas dans une démarche radicale du refus, mais plutôt dans celle de questions posées à l’autorité politique et à l’industrie pharmaceutique.
La méfiance envers les vaccins peut ainsi être, pour une partie, interprétée comme une mesure de la confiance que nous portons aux gouvernements, à la presse, aux médecins, aux industriels, etc. Or, en France, cette confiance est faible. Cela se répercute sur l’opinion des Français quant aux vaccins, opinion qui, dans le cabinet du docteur, quand il s’agit de faire vacciner ses enfants, est cependant beaucoup moins tranchée qu’elle ne le laisse entendre ailleurs.
Jacques : Le discours des antivaccins dans le cadre de la pandémie de Covid-19 est-il le même que ceux que l’on a pu entendre pour d’autres vaccins précédemment ?
Dans l’ensemble, oui. Dès le XVIIIe siècle, on trouve des arguments politiques, économiques, alterscientifiques et religieux. Cependant, en fonction de la situation historique et politique, certains arguments semblent plus importants que d’autres. Dans une époque marquée par la mondialisation, les théories du complot (impliquant de prétendues sociétés secrètes et des intérêts financiers ou politiques jugés suspects) prospèrent. Tout dans notre époque (un nouveau virus venu de Chine, etc.) favorise cet angle. En outre, comme il n’y a aucun vaccin pour l’instant, les arguments habituels sur l’inefficacité et la dangerosité supposées tomberaient à plat…
YP : La méfiance envers le vaccin contre le Covid-19 est-elle liée à la précipitation pour le développer et le tester ?
C’est là qu’il convient de distinguer une méfiance « naturelle » – et qui n’est pas absurde – envers les différents nouveaux vaccins dont nous devrons faire usage et l’antivaccinisme pur et dur, qui consiste à décréter d’ores et déjà que lesdits vaccins seront toxiques, inefficaces, accompagnés d’une puce pour nous tracer, etc. Les autorités sanitaires, les industriels et les politiques auront à répondre de la rapidité de leur fabrication et de leur mise sur le marché en fonction de l’urgence épidémique.
Tous les citoyens qui attendent pour voir et se montrent prudents ne peuvent en aucun cas être taxés de « complotistes ». Ce sont plutôt les sondeurs et certains journaux qui jouent, à mon sens, à un jeu dangereux en interrogeant les Français sur la confiance qu’ils ont envers un remède qui n’existe pas encore.
Tristan D : L’épisode du H5N1 a-t-il joué un rôle prépondérant dans cette défiance ?
La grippe H5N1 (dite grippe aviaire) de 2006 a eu peu d’effet en France. Je pense que vous voulez parler de la grippe H1N1 de 2009, pour laquelle la ministre Roselyne Bachelot avait appliqué le principe de précaution en préachetant des millions de doses, lesquelles se sont révélées inutiles puisque la pandémie n’a finalement pas eu lieu.
A cette époque, l’opinion publique avait perdu confiance envers la politique vaccinale. Mais le Covid-19 est plutôt venu corriger cette impression : la ministre avait eu raison de prendre la menace au sérieux, même si finalement et, fort heureusement, cela n’a servi à rien. Une partie de l’opinion, qui n’avait jamais entendu parler de problèmes vaccinaux auparavant, a été touchée par les arguments de ceux qui ont dénoncé de supposés conflits d’intérêts au plus haut sommet de l’Etat. Depuis, la confiance n’a jamais été totalement retrouvée.
Franck : La montée en puissance des médias sociaux et des « fake news » donne-t-elle une importante tribune à ces mouvements ?
Il est certain que les réseaux sociaux favorisent la diffusion de ces idées à l’origine très marginales. C’est le moyen pour les militants les plus déterminés de la cause antivax de faire connaître leurs arguments, de bénéficier de puissants relais parmi les « people », de diffuser des films, etc.
Pour avoir contact avec ces discours, parfois radicaux et ouvertement complotistes, il fallait auparavant se rendre à une réunion tard le soir, acheter un livre ou s’abonner à une revue. Désormais, il suffit de consulter son mur Facebook…
Alors que l’opinion antivax était plutôt, historiquement, une opinion de classe moyenne éduquée (dont beaucoup d’enseignants et de personnes travaillant dans le domaine médical), elle tend à se « populariser » par le biais des réseaux sociaux. C’est une nouveauté à prendre en compte.
Topitopa : Le discours antivaccin n’est-il pas aussi lié à une vision un peu déformée de la fréquence des effets secondaires graves ?
En général, dans le vaccinoscepticisme ordinaire, on trouve une minimisation du danger épidémique et une maximisation du risque vaccinal. C’est le point de basculement dans l’antivaccinisme qui peut être plus ou moins radical.
Cependant, en fonction de la situation de telle maladie et de tel vaccin, ce raisonnement peut se justifier. A la fin des années 1970, lorsque la variole était quasiment éradiquée à l’échelle mondiale, que la dernière épidémie (limitée) datait de 1954-1955, quel avantage avait-on de garder le vaccin antivariolique qui provoque quelques effets secondaires graves ?
A ce moment-là, parce que la maladie avait disparu, il devenait plus raisonnable de cesser de vacciner ! Vous voyez donc que la fameuse balance bénéfices/risques n’est pas un invariant historique, il faut la réévaluer régulièrement si l’on veut qu’elle reste pertinente.
Jules : Les vaccinosceptiques sont-ils surtout des jeunes ?
Les études sur la sociologie des antivax (modéré ou radicaux) sont encore en cours. Il est très difficile de dresser un portrait-robot de l’antivax-type, d’autant qu’il y a plusieurs courants et des degrés d’implication très divers. Jusqu’à présent il n’est pas apparu que les personnes jeunes soient surreprésentées (ce serait plutôt l’inverse…) mais l’influence des réseaux sociaux pourrait jouer un rôle encore à définir.
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