Le dossier de L'Express

Influenceurs, médias, commerces : plongée dans le monde parallèle des antivax

Réseaux sociaux, personnalités, médias... Les militants antivax ont développé une "contre-culture" soudée sur le Covid.

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Cela fait sept samedis qu'un peu partout en France des citoyens se rassemblent pour protester contre la mise en place du passe sanitaire.

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Sameer Al-Doumy/AFP

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En général, leurs manifestations sont bon enfant. Des cortèges de plusieurs milliers de personnes, inédits au coeur de l'été. Cela fait sept samedis qu'un peu partout en France des citoyens se rassemblent pour protester contre la mise en place du passe sanitaire. Dans ce pêle-mêle de mobilisation aux faux airs de kermesse, une impression générale se dégage : les participants ont le sentiment d'appartenir à la partie "éveillée" de la population, d'avoir compris quelque chose avant les autres. Les plus décidés d'entre eux, guettant la moindre information sur le Web, ont formé une communauté Internet avec ses figures médiatiques, ses propres médias, et même ses listes de commerces ne demandant pas le passe sanitaire. Bienvenue dans le monde parallèle des antivax. 

Pour comprendre le fonctionnement de cette foisonnante nébuleuse, il faut d'abord savoir différencier les degrés d'engagement. "Il serait erroné d'associer les 200 000 manifestants contre le passe sanitaire à des antivax, prévient Antoine Bristielle, directeur de l'observatoire de l'opinion de la Fondation Jean-Jaurès et professeur agrégé de sciences sociales. Seulement 17 % de la population semble vraiment rétive à la vaccination, quand ces manifestations sont soutenues à hauteur de 35 %." Dans les manifestations mêmes, rares sont les participants se disant antivaccins, la plupart déclarant protester contre le principe du passe sanitaire au nom des libertés individuelles. "Ces manifestations sont marquées par l'usage de concepts comme "liberté" ou "dictature sanitaire", analyse Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université Paris-Diderot, spécialisé en culture numérique. Ils sont assez vagues pour signifier que l'on s'inquiète des libertés individuelles, ou y projeter tout autre chose." Les politiques qui tentent de se placer en tête du mouvement, comme Nicolas Dupont-Aignan ou Florian Philippot, ne s'y sont pas trompés. "En appelant sans cesse à la liberté, ils tiennent un discours qui vise à susciter un maximum d'adhésion." 

La "résistance"

Ils ne sont pas les seuls à appliquer cette technique. Sur Facebook, rares sont les groupes qui ont choisi de se signaler clairement comme étant contre la vaccination. A la place, on trouve une pléthore de communautés intitulées "Stop au passe sanitaire !", "Résistance au passe sanitaire", ou encore "Résistance !!! NON au passe sanitaire". "Pour une partie significative d'internautes et de participants aux manifestations, cette opposition au passe sanitaire est un cache-sexe à des opinions antivaccins, c'est certain", selon Tristan Mendès France.  

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C'est ici qu'une partie de la "résistance" - terme qui revient souvent dans ces groupes - s'organise. "Dans les mécanismes d'adhésion aux théories du complot, le sentiment d'appartenir à une avant-garde éclairée revient régulièrement, souligne Antoine Bristielle. Il est gratifiant d'avoir le sentiment de savoir quelque chose que le reste du monde ignore." Dans un effort de mobilisation qui fleure le début des gilets jaunes, les déclarés antipasse partagent des images de manifestations, mais surtout de l'information. Avec des sources bien particulières : il n'est pas rare de croiser une vidéo de Fabrice Di Vizio, l'avocat en tête des cortèges contre le passe sanitaire. Les paroles de soignants protestant contre la vaccination dans les médias y sont aussi très appréciées. Dernièrement, les propos d'un chirurgien de Tarbes qualifiant la vaccination de "génocide" ont été très partagés sur Facebook. 

Des médias alternatifs

Des vidéos des chaînes d'info y circulent régulièrement. "Mais elles sont le plus souvent contestées ou tournées en dérision", note Tristan Mendès France. Ce sont surtout les médias alternatifs qui plaisent. Depuis l'apparition de l'épidémie, le site Web de l'ancien quotidien France Soir relaie les discours critiques et complotistes liés au coronavirus. De décembre 2020 à avril 2021, l'ex-présentateur de France 3 Richard Boutry, qui a récemment affirmé que les vaccins étaient là pour "reprogrammer l'ADN humain, c'est-à-dire transformer les injectés en potentiels démons", y avait même son émission. Il y a reçu d'autres figures de la sphère antivax, comme le chanteur Francis Lalanne, l'ex-blogueur Mickaël Vendetta, ou encore Thierry Casasnovas, "youtubeur" adepte du jeûne et du crudivorisme.  

Un pêle-mêle de personnalités inédit. "Le mouvement antivaccins existe depuis longtemps en France, mais est divisé en plusieurs chapelles", explique Françoise Salvadori, auteure avec Laurent-Henri Vignaud de l'ouvrage Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours (éd. Vendémiaire). On trouve les adeptes de la médecine naturelle type Thierry Casasnovas, l'ancien professeur Jean-Bernard Fourtillan, poursuivi en justice pour des essais cliniques illégaux, ou encore le professeur Henri Joyeux, proche de l'extrême droite. "Cette interconnexion du mouvement est une nouveauté du Covid", poursuit la chercheuse.  

Des chapelles interconnectées

Dès mai 2020, Thierry Casasnovas a animé un live YouTube aux côtés de l'ancien médecin Tal Schaller, reconverti dans la médecine alternative, Jean-Jacques Crèvecoeur, qui voit dans le vaccin l'occasion d'injecter des puces sous-cutanées aux citoyens, et l'ufologue Silvano Trotta. Supprimée de la plateforme car elle n'en "respectait pas le règlement", la vidéo circule encore. Les quatre hommes continuent de produire des contenus et à les reprendre mutuellement. "La grande perméabilité des contenus fait qu'un élément de pages vaccinosceptiques va pouvoir être partagé ailleurs et rebondir de communautés en communautés", pointe Tristan Mendès France. 

Pour restreindre le partage de fausses informations, les grandes plateformes ont affiché dès le mois d'octobre leur volonté de faire la guerre aux contenus antivaccins. Ce grand ménage a provoqué une migration de ses militants les plus déterminés vers des plateformes confidentielles. Quand Hold-up, documentaire complotiste sur les origines du Covid, a disparu de la plateforme Vimeo, puis de Facebook, il est réapparu sur le site Odysee, devenu le refuge de vidéos trop sulfureuses pour YouTube. Ce n'est pas le seul : VKontakte, plateforme russe, et Gab, réseau social associé à l'extrême droite américaine, ont aussi les faveurs des antivax.  

Dans la vie réelle

Pour échapper à la "censure" de Facebook, ils se sont aussi réfugiés sur la messagerie Telegram. Les militants peuvent y organiser tranquillement leurs actions. "Des groupes de parents en colère tentent par exemple de se mobiliser contre ce qu'ils appellent la vaccination de force des enfants", remarque Tristan Mendès France. Le réseau Réinfo Covid, tenu par le médecin vaccinosceptique Louis Fouché, s'est associé à un autre site, Animap, qui entend répertorier les entreprises qui "permettent à tous d'accéder librement" à leurs services, "vaccinés ou non". Des initiatives que l'on retrouve également dans les boucles Telegram des antivaccins. 

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Comme sur Facebook, ces discussions se nourrissent les unes des autres, entretenant un référentiel bien précis. "Cela fonctionne un peu comme un piège qui se referme", décrit Françoise Salvadori. Un piège qui peut aller bien au-delà de la défiance envers les vaccins. "Si vous remettez en cause le consensus des vaccins, mécaniquement, vous questionnez le discours scientifique majoritaire, ajoute Tristan Mendès France. Pour certains, cela s'accompagne d'une remise en cause globale des repères." Des influenceurs comme Silvano Trotta, par exemple, ne limitent par leurs analyses au Covid : fan de vérités cachées, l'homme spécule sur "l'Etat profond". Valérie Bugault, autre figure du mouvement vaccinosceptique et proche du mouvement d'Alain Soral, assure que l'Etat français "n'existe plus juridiquement depuis le 16 mars 2020". Ces propos disparaîtront-ils avec l'épidémie ? "Ces théories perdront peut-être en attraction, mais elles continueront d'hystériser le débat, prévient Rudy Reichstadt. Elles ne s'évanouiront pas comme un mauvais rêve." 

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