« Comment pourrais-je être antivax avec tous les antidépresseurs que je prends ? », demande Benoit Poelvoorde

« 20 MINUTES » AVEC Benoît Poelvoorde incarne un père brutal, mythomane et complotiste dans « Profession du père » de Jean-Pierre Améris, en salle depuis mercredi

Propos recueillis par Caroline Vié
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Benoît Poelvoorde, à Paris, le 1er juillet 2021
Benoît Poelvoorde, à Paris, le 1er juillet 2021 — Caroline Vié/20 Minutes
  • Chaque semaine, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un sujet de société dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… ».
  • Benoît Poelvoorde retrouve Jean-Pierre Améris avec lequel il avait notamment tourné « Les Emotifs anonymes ».
  • Son rôle de père mythomane pour « Profession du père » lui permet de revenir sur les complotistes, le vaccin anti-Covid, son métier d’acteur mais aussi son amour pour les chiens.

La pandémie n’a pas entamé la soif de travail de Benoît Poelvoorde. Ne serait-ce que cet été, on peut le voir, en salle, dans Mystère à Saint-Tropez de Nicolas Benamou, Comment je suis devenu superhéros de Douglas Attal, disponible sur Netflix, ou Profession du père, inspiré d’un livre autobiographique de Sorj Chalandon.

Dans ce film, en salle depuis mercredi, Jean-Pierre Améris offre à Benoît Poelvoorde le rôle inattendu d’un père mythomane et brutal qui manipule son fils de 12 ans pour l’envoyer assassiner le Général de Gaulle. Un complotiste avant l’heure. Et une bonne occasion pour l’acteur d’évoquer avec 20 Minutes des questions d’actualité récente, son expérience après avoir tourné une soixantaine de films en trente ans ou l’importance des chiens dans la vie.

Vous dites être pour le vaccin, mais êtes-vous vacciné contre le Covid-19 ?

Pas encore [l’interview a été réalisée le 1er juillet], mais c’est par pure négligence ! Avec tous les antidépresseurs que je prends depuis des années, je ne vais quand même pas cracher sur les vaccins. Je carbure aux médicaments depuis que je suis petit. Sans eux, je ne vous parlerais pas aujourd’hui, c’est ce qui me permet d’être équilibré en journée. Comment pourrais-je être antivax ? En même temps, ça m’emmerde qu’on m’oblige à me faire vacciner. C’est débile et enfantin, j’en suis conscient. Je suis un paradoxe sur pieds…

Vous arrive-t-il de participer au débat entre pro et antivax ?

Il est presque impossible d’aborder ce sujet sereinement. C’est devenu le nouveau point Godwin alors je préfère m’abstenir car ça tourne tout de suite au vinaigre. Mais ce que révèlent les disputes entre pro et antivax va bien plus loin que le vaccin. Qu’il y ait de tels clivages entre les gens est symptomatique d’un grave problème de société. C’est ça qui m’angoisse.

Les commentaires sur les réseaux sociaux, vous y faites attention ?

Je regarde parfois YouTube et je suis sidéré par les déballages de haine qu’on peut y dénicher dans les commentaires. Mais ils ont peut-être finalement un effet bénéfique, en permettant à des gens qui pourraient devenir dangereux de cracher leur colère et de se défouler par écrit… Mon personnage de Profession du père serait appelé complotiste aujourd’hui, mais il n’engueule que sa télé, ce qui lui donne l’impression de pas être entendu et lui fait fomenter l’assassinat de Gaulle.

A titre personnel, vous arrive-t-il de répondre aux attaques ?

Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, les comptes à mon nom ne sont pas les miens, et je ne consulte jamais les commentaires, ni les critiques, me concernant. Ni le positif, ni le négatif, car on ne peut pas voir l’un sans l’autre. C’est un sujet sur lequel je demeure cohérent et qui me permet de garder un équilibre. Je suis toujours étonné quand les gens parlent de cyber harcèlement alors que pour moi, il suffit d’ignorer les trolls pour les rendre inoffensifs.

Comment avez-vous vécu les périodes de confinement ?

J’ai tourné trois films pendant le deuxième confinement et je n’ai pas du tout souffert du premier. En fait, je suis plutôt casanier, je n’aime pas trop fréquenter les endroits publics, même si j’aime bosser. Je peux passer quinze jours à la maison sans sortir et sans que cela me rende malheureux. J’aime les rituels. Je range ma chambre d’hôtel, ma loge et ma maison de façon très précise car cela m’aide à me sentir en sécurité. Je déteste voyager, même si j’exerce un métier qui m’oblige à le faire plus souvent qu’à mon tour.

Alors pourquoi enchaînez-vous les films à un tel rythme ?

Cela me rassure car je suis un grand angoissé. Et puis, comme ça, la presse a l’embarras du choix pour décider sur quel film me rencontrer. Je plaisante, mais je sais que les films que je tourne ne sont pas tous des chefs-d’œuvre. Je m’en rends compte dès le scénario que je ne prends pas toujours la peine de lire. Il m’arrive d’être surpris quand j’arrive sur le plateau. Et encore davantage quand je les vois car, grande nouveauté, j’ai commencé à regarder les films que je tourne, ce que je ne faisais jamais auparavant. J’éprouve aujourd’hui une forme de curiosité malsaine, de masochisme… Car cela reste un processus douloureux de me voir sur grand écran.

Qu’est-ce qui motive vos choix de films ?

Souvent, je les accepte pour faire plaisir à des potes ou à des potes de potes… Ou pour des raisons qui n’ont rien de rationnel. Ça me fait marrer quand on me demande si j’ai un plan de carrière. Chaque choix est déterminé par une anecdote, un détail qui peut sembler souvent ridicule aux autres. Je ne choisis jamais un rôle par calcul.

Qu’est-ce qui vous a attiré vers « Profession du père » ?

Là, je reconnais que c’était plus cohérent. J’avais déjà tourné Les Emotifs anonymes et Une famille à louer donc j’étais en terrain connu avec Jean-Pierre Améris. J’avais aussi lu et aimé le livre de Sorj Chalandon. Je trouvais le sujet compliqué et le rôle dur, mais j’avais confiance en Jean-Pierre. Il sait être directif ce qui est important. Comme le dit Gérard Lanvin, il faut qu’il y ait un patron sur un plateau. Rien n’est plus déstabilisant pour un acteur que de sentir le réalisateur paniquer parce qu’il ne sait plus où il en est ou parce qu’il n’y a aucune direction précise. Je savais que ce ne serait pas le cas avec Jean-Pierre Améris et c’était rassurant car mon personnage, complexe, demande un dosage précis dans les émotions qu’il fait passer.

Les scènes de violence sur l’enfant ont-elles été compliquées à tourner ?

Des proches m’avaient déconseillé de tourner le film pour cette raison ou parce que mon personnage humilie son épouse… On m’a dit que personne ne pourrait accepter de me voir lever la main sur un enfant. J’ai donc hésité puis je me suis lancé grâce à Jean-Pierre Améris. Et j’ai compris que la meilleure façon d’aborder les scènes où je dois violenter ce gosse, c’était de commencer par en rire ensemble avant de les tourner. Je trouvais cela moins traumatisant pour lui que de geindre et de lui demander toutes les cinq minutes s’il allait bien.

Y a-t-il quelque chose de plus difficile à jouer que la violence ?

Les scènes de cul dans certains films m’ont mis beaucoup plus mal à l’aise en raison de la proximité des corps. Je n’en ai peut-être pas l’air, mais je suis quelqu’un de plutôt introverti et pudique. On a une opinion sur moi qui ne correspond pas à la réalité. Si Jean-Pierre Améris s’est dit : « un personnage de mytho, c’est idéal pour Ben », c’est parce que, quelque part, c’est l’image que je projette et que cette image, pour lui, correspond à ce personnage de père fou à lier…

La folie du père, ce n’est pas un sujet qui vous parle ?

Ce film parle des abus que peuvent subir des enfants de la part de leurs parents et cela arrive souvent, plus souvent qu’on le croit. Jean-Pierre Améris m’a dit avoir été battu par son père. Audrey Dana, qui joue ma femme dans le film, également. Elle a même écrit un livre sur ce sujet ! Pour ma part, j’ai eu une enfance très heureuse et j’ai toujours refusé d’être papa. Je suis moins concerné. Pour autant, je ne me sens pas étranger au fait de partir en vrille. Lors d’un junket récent, j’ai perdu pied parce que mon chien venait de mourir. J’ai tellement bu pour oublier mon chagrin que je ne me souviens plus de ce que j’ai pu raconter à ce moment-là. Toute personne qui a déjà perdu un chien me comprendra.

Votre chien, vous l’avez remplacé ?

Pas encore. J’ai un autre chien, mais c’est celui de ma femme. Je ne veux pas pleurer sur mon sort, en parlant de la solitude de l’acteur dans sa loge ou le soir à son hôtel… Mais tout cela est plus joyeux quand vous avez un chien pour vous tenir compagnie. C’est toujours mieux qu’une pute ! De plus en plus d’acteurs ont des chiens pour calmer leurs angoisses, alors que d’autres préfèrent se déplacer avec un entourage d’agents, de publicistes, de coiffeurs ou de maquilleurs pour compenser leur mal-être.

Vous tournez depuis près de trente ans, mais depuis quand assumez-vous d’être vraiment un acteur ?

J’ai débuté avec C’est arrivé près de chez vous en 1992. C’était un film de potes tourné à l’arrache qui a changé ma vie après avoir été présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Cela a été un choc tellurique pour moi car je sortais des Beaux-Arts et me destinais à une carrière de dessinateur. J’ai fait le tour du monde avec ce film alors que je n’avais jamais pris l’avion ! J’ai aussi rencontré mon épouse à ce moment-là. L’après C’est arrivé près de chez vous a été difficile. Je ne me sentais pas légitime en tant que comédien, même quand je suis monté sur scène avec Modèle déposé. J’ai fini par me faire à l’idée quand j’ai commencé à éprouver du plaisir à tourner des scènes difficiles en m’arrangeant pour qu’on ne se rende pas compte de mes efforts. C’est aussi le moment où j’ai arrêté de me regarder à l’écran, avant de parvenir à le faire de nouveau…

Etre acteur, c’est quoi pour vous ?

Aimer dire : « Je peux refaire la prise cinquante fois et peaufiner » ou « Dis-moi ce que tu veux et je le ferai ». C’est l’essence du métier pour moi. Bien que je ne sois pas musicien, j’apprécie de pouvoir moduler ma performance comme si je jouais une partition. Un exemple : je viens de tourner Couleurs de l’incendie de Clovis Cornillac d’après le roman de Pierre Lemaitre. J’y incarne un banquier sans scrupule, un vrai salopard quasi-collabo. Comme Clovis est un grand acteur, il sait nous diriger. Il aimait me voir tirer la langue pendant une réplique. C’est un truc que j’avais fait machinalement, sans m’en rendre compte. Il m’a demandé de le refaire sur le tournage alors que cela n’avait rien de naturel. Y parvenir sans que le spectateur ne se rende compte que c’est un effort pour moi résume ce qu’est le métier d’acteur : faire des petites choses que personne ne remarquera jamais.

Ce soin du détail n’est pas incompatible avec votre je-m’en-foutisme affiché pour le choix de vos rôles ?

Je suis un paradoxe sur pieds, je vous l’ai dit ! A la fois réservé et en démonstration permanente. Je tente de composer avec les différents aspects de ma personnalité, ce qui n’est pas toujours évident. Si je commence à regarder mes films, je ne relis et n’écoute jamais mes interviews, et ne revois jamais non plus mes prestations sur les plateaux télé. Comme je ne contrôle rien sur ces interventions, je préfère les ignorer. Même si j’essaye de ne pas redire la même chose par respect pour le public.