Fiscalité

Impôt mondial sur les multinationales : accord à 136 pays avec un taux fixé à 15%

Le projet de fiscalité mondiale adopté le 1er juillet se concrétise avec la levée des derniers freins en Europe. Après des mois de blocage, les Irlandais ont annoncé jeudi accepter de relever leur taux d’imposition, suivis par les Estoniens et les Hongrois ce vendredi.
par LIBERATION et AFP
publié le 8 octobre 2021 à 11h17

C’est une nouvelle étape franchie pour l’instauration d’un impôt minimum mondial sur les sociétés. Cent trente-six pays sont désormais d’accord pour taxer à 15% les bénéfices des multinationales réalisant au moins 750 millions d’euros de chiffre d’affaires. Après des mois de blocage, et alors que 130 pays en avaient adopté le principe le 1er juillet, l’Irlande a annoncé jeudi soir accepter de relever son taux d’imposition, suivie dans la foulée par le gouvernement estonien, puis par les Hongrois.

«La réforme majeure du système fiscal international finalisée aujourd’hui à l’OCDE permettra de garantir l’application d’un taux d’imposition minimum de 15% aux entreprises multinationales à compter de 2023», a indiqué l’OCDE dans un communiqué, saluant un accord «historique». Les 136 pays, qui représentent 90% du PIB mondial, vont pouvoir dégager environ 150 milliards d’euros de recettes supplémentaires grâce à cette mesure.

«Des conséquences mais beaucoup d’opportunités»

Siège européen d’un grand nombre de Gafam, dont Apple et Google, et d’entreprises pharmaceutiques, l’Irlande affiche un taux d’imposition sur les sociétés très complaisant de 12,5 %, l’un des plus faibles au monde. Le ministre des Finances irlandais a ainsi salué un accord qui apporte de la «certitude» et permet selon lui à Dublin de rester «une destination attractive» pour les entreprises. «C’est une décision importante pour notre politique industrielle, notre avenir, c’est complexe. Il y aura des conséquences mais il y a beaucoup d’opportunités», a assuré le ministre des Finances irlandais. Selon un sondage commandé par The Irish Times, une large partie des Irlandais était favorable à un maintien du taux à 12,5 %, qui a permis au pays de connaître une croissance économique rapide sur les vingt dernières années.

Emboîtant le pas de l’Irlande, la Première ministre estonienne a annoncé que Tallinn rejoignait à son tour l’accord. Ce qui ne «changera rien pour la plupart des opérateurs économiques estoniens et concernera uniquement les filiales de grandes multinationales», a souligné la Première ministre Kaja Kallas.

La secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen s’est félicité de cet accord qui «la compétition et favorisera l’emploi et les investissements aux Etats-Unis». En effet, à l’heure où les Etats cherchent des fonds pour redresser leurs finances publiques mises à mal par la pandémie, cette réforme entend lutter contre l’évitement fiscal de multinationales, en grande partie américaines, qui s’enregistrent dans les pays aux plus faibles taux de taxation.

La Hongrie, dernier pays de l’Union européenne à ne pas avoir sauté le pas, a elle aussi rejoint l’accord après avoir obtenu des concessions ce vendredi. Le Kenya, le Nigeria, et le Sri Lanka, associés aux négociation, ne font en revanche pas partie des pays signataires. Le Pakistan, pourtant inscrit dans une précédente liste de pays signataires, ne figure plus non plus dans celle de vendredi.

«Après des années de travaux et de négociations intenses, ce paquet de mesures historique garantira que les grandes entreprises multinationales paient leur juste part d’impôt partout dans le monde», avait affirmé Mathias Cormann, le secrétaire général de l’OCDE. «Les sociétés multinationales ne pourront plus opposer les pays les uns aux autres dans le but de faire baisser les taux d’imposition et de protéger leurs bénéfices au détriment des recettes publiques», avait surenchéri le président américain Joe Biden. Son arrivée à la tête des Etats-Unis avait permis au projet de reprendre de l’élan. En juin, lors du G7 organisé à Londres, le président américain avait endossé son costume de VRP contre les paradis fiscaux.

«Cela risque de graver dans le marbre une faible imposition des multinationales»

L’accord a cependant suscité les critiques de l’ONG Oxfam, qui a déploré jeudi que «ce qui aurait pu être un accord historique pour mettre fin à l’ère des paradis fiscaux devient un rafistolage de pays riches à la place». «La proposition d’un taux d’imposition [minimum] mondial fixé à 15 % va largement servir les pays riches et augmenter les inégalités. Le G7 et l’Union européenne vont récupérer les deux tiers des nouvelles recettes fiscales mais les pays les plus pauvres seulement 3 % alors qu’ils représentent plus d’un tiers de la population mondiale», a déploré Susana Ruiz, responsable des politiques fiscales chez Oxfam.

En juillet, Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire, déplorait «un accord en négociation […] problématique tant sur son ambition pour imposer les multinationales en fonction de leurs activités réelles, que sur son impact déséquilibré sur les pays du Sud». «Si le taux d’imposition minimum effectif reste défini à 15 %, cela risque de graver dans le marbre une faible imposition des multinationales et une course à la baisse des taux, alors que les Etats ont besoin de recettes fiscales pour faire face aux grands défis actuels, comme la réduction des inégalités et les dérèglements climatiques», ajoutait-elle. Même analyse que celle de l’économiste Henri Sterdyniak, interrogé par Libération, qui craignait «que ces 15 % [ne] deviennent le taux de référence».

Une réunion est prévue ce vendredi à l’Organisation de coopération et de développement économiques, avec environ 140 pays, afin de tenter d’entériner les derniers paramètres de la réforme, avant une réunion ministérielle des pays du G20 la semaine prochaine. L’objectif est une mise en application de la réforme d’ici à 2023.