La chasse aux fraudeurs fiscaux est ouverte sur Internet

L’Assemblée nationale a validé, mi-novembre, le principe de la collecte massive de données sur les réseaux sociaux pour débusquer de potentiels fraudeurs.

 Les réseaux sociaux ou encore les sites marchands pourront être scannés par le ministère des Finances.
Les réseaux sociaux ou encore les sites marchands pourront être scannés par le ministère des Finances. LP/Olivier Boitet

Sur Internet aussi, le fisc tisse sa toile. Dès 2020, le web pourrait se retourner contre les contribuables. Vos photos de vacances, d'anniversaire, vos selfies à la table d'un grand restaurant ou en première classe d'une compagnie aérienne pourraient devenir autant d'indices pour inciter les agents de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) à éplucher de près votre situation et votre patrimoine.

Mi-novembre, les députés ont en effet adopté l'article 57 du projet de loi de finances pour 2020, qui permet aux agents du fisc et des douanes de collecter les données des Français sur les réseaux sociaux et les plateformes de commerce en ligne. Dès janvier, les algorithmes du ministère des Finances pourront « mouliner cette data, la croiser avec d'autres bases, pour identifier des anomalies et d'éventuels fraudeurs », décrypte un haut fonctionnaire de Bercy.

« Les dossiers qui, au terme de cette analyse numérique, se seront mis à clignoter, seront transférés aux contrôleurs ». Une façon pour l'Etat de mieux lutter contre la fraude fiscale, alors que le premier bilan de la loi anti-fraude, votée l'an dernier, montre que le texte porte déjà ses fruits.

Un dispositif expérimental de trois ans

La mesure est une petite révolution. Si le fisc avait déjà accès à de nombreux éléments (données déclaratives des particuliers, mouvements patrimoniaux, actes notariés, assurance vie, comptes courants, etc.), l'accès à l'information s'effectuait de manière cloisonnée.

Un agent de contrôle devait utiliser manuellement plusieurs applications pour comparer ces données. Demain, ces recoupements seront effectués par des logiciels, en incluant les informations présentes sur Internet. Les réseaux sociaux Facebook, Instagram, Twitter, ou encore les sites marchands Leboncoin et eBay, appartiennent par exemple aux plateformes dont les contenus postés publiquement par les utilisateurs pourront être scannés par Bercy.

Mais la surveillance des réseaux sociaux ne fait pas que des adeptes! Quid de la vie privée des internautes? En septembre, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) avait appelé à la prudence et exigé « des garanties fortes ». Les députés ont donc posé plusieurs garde-fous à l'article 57, par exemple en limitant à cinq jours la conservation de données sensibles (comme l'orientation sexuelle ou politique) et en interdisant le recours à des sous-traitants pour la collecte des informations sur Internet. Au final, l'Assemblée a donné son feu vert sous la forme d'un dispositif expérimental, d'une durée de trois ans.

«L'espionnage des réseaux fait sourire beaucoup de mes collègues»

Coté syndicat, la mesure laisse sceptique. « Le data mining (NDLR : l'exploration de données), les algorithmes, pourquoi pas ? relève Vincent Drezet, porte-parole de Solidaires-Finances publiques, le premier syndicat des impôts. Mais encore faut-il que les bases soient bien mises à jour, ce qui n'est pas toujours le cas… » Par ailleurs, « ces nouvelles méthodes ne doivent pas se substituer au contrôle fiscal d'initiative, sur la base de nos remontées locales », relèvent les agents des directions départementales.

« Au final, l'espionnage des réseaux fait sourire beaucoup de mes collègues, confie Vincent Drezet. Avant, les agents du fisc se rendaient discrètement sur les brocantes, désormais, ils scanneront des plateformes numériques. Mais les choses ne seront pas aussi simples qu'on veut bien le présenter de façon caricaturale : ce qu'il faudra chercher, c'est la même personne sur dix sites marchands différents, plutôt qu'un individu en photo devant sa Ferrari ou sa piscine ».