Vu de Londres

Shocking : James Bond ne paie pas vraiment ses impôts

Un rapport révèle que les studios londoniens d’où sortent les films des studios EON Productions ont reçu des dizaines de millions d'euros d’exemptions fiscales.
par Sonia Delesalle-Stolper, correspondante à Londres
publié le 22 octobre 2020 à 6h57

Son nom est James, James Bond. Il passe sa vie à sauver des vies, à éviter des trahisons terribles et autres guerres et catastrophes planétaires. Le tout en sautant d’un avion, d’un bateau, d’une grue, d’une montagne ou d’une Aston Martin en flammes. En costume-cravate sans plis et en buvant une vodka-martini sous les yeux énamourés de créatures de rêve. Mais il y a un hic : James Bond paye très peu d’impôts. Pas dans la fiction des écrans, mais dans la réalité, dans la vraie vie.

Un récent rapport d’un institut de recherche sur la fraude fiscale, TaxWatch, intitulé «No Time To Pay Tax ?», révèle qu’EON Productions, les studios londoniens d’où sortent les films, réalisent très peu de bénéfices au Royaume-Uni mais ont reçu au fil des années des dizaines de millions d’exemptions d’impôts.

Environ 133 millions d’euros d'exemptions d'impôts

Les derniers comptes publiés révèlent que Spectre, sorti en 2015, a reçu 30 millions de livres (33,3 millions d'euros) de crédit d'impôts alors que pour No Time to Die, le 25e James Bond dont la sortie a été reportée à 2021 pour cause de pandémie, les crédits se sont élevés à 47 millions de livres (52,15 millions d'euros). Au total, les exemptions d'impôts depuis 2007 s'élèveraient à 120 millions de livres (133 millions d'euros), selon TaxWatch.

Pour bénéficier d'exemptions d'impôts au Royaume-Uni, le British Film Institute, l'organisme de promotion du cinéma et de la télévision britannique, doit décréter que le film est «culturellement britannique». Ce qui, dans le cas de la franchise de 007, employé du MI6, les services secrets de sa Gracieuse Majesté, ne fait certes aucun doute. Après tout, James Bond (incarné par Daniel Craig) a bien sauté en parachute à côté de la reine Elizabeth II (enfin de son sosie) du haut d'un hélicoptère pendant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques à Londres en 2012.

«Alors que cinémas et théâtres dans le pays ferment, que les employés du secteur culturel sont durement touchés, vous devez vous demander si distribuer des dizaines de millions de livres sterling à une franchise tellement rentable est le meilleur usage possible de l'argent public», a estimé George Turner, directeur de TaxWatch.

La chaîne de cinémas Cineworld a annoncé la fermeture de ses 663 salles au Royaume-Uni et aux Etats-Unis en raison de la pandémie mais surtout du report de la sortie de No Time to Die. Alors, James Bond a-t-il versé dans l'illégalité ? Non, bien sûr que non.

Une société logée dans le Delaware

Mais la distribution de la franchise formidablement bénéficiaire répond à un petit tour de passe-passe. EON tourne et réalise les films puis les vend à Danjaq, une société créée en 1962 par les épouses des producteurs Harry Saltzman et Albert R «Cubby» Broccoli ; qui s’étaient portés acquéreurs l’année précédente des droits des romans d’Ian Fleming. Danjaq est logée dans l’Etat de Delaware aux Etats-Unis, au régime fiscal très avantageux.

Danjaq s'est défendu en affirmant permettre à «EON d'employer au Royaume-Uni des dizaines de milliers de personnes et d'utiliser les crédits d'impôts pour financer la fabrication des films de Bond […] au Royaume-Uni». Un argument balayé par TaxWatch qui a estimé que les Bond ont été tournés et produits au Royaume-Uni pendant des décennies avant l'introduction des crédits d'impôts pour les films en 2007. Pour George Turner, il n'est pas «vraiment crédible d'imaginer que le commandant Bond puisse faire défection vers la CIA».