Élections présidentielles 2022 : pourquoi la gauche ne parvient-elle pas à s'unir ?

[Interview] Alors que les candidats de gauche peinent à trouver leur place dans ce début de course à la présidentielle, l’historien et président de l’Office universitaire de recherche socialiste, Alain Bergounioux, revient sur les raisons qui ont mené cette famille politique à l’éparpillement.
Enola Richet
Publié le 14/12/2021 à 14h23 I Mis à jour le 14/12/2021 à 16h48
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La candidate socialiste à la future élection présidentielle, Anne Hidalgo, lors d'un meeting de campagne à Perpignan, en décembre 2021.  • ABACA

Le 8 décembre 2021, Anne Hidalgo a proposé l’organisation d’une primaire de la gauche et s’est heurtée au refus catégorique de tous les candidats, hormis Arnaud Montebourg. Devait-on s’y attendre ?

Oui, et je crois qu’elle le savait aussi. Il fallait essayer de sortir d’une situation difficile, de rebattre les cartes et d’apparaître plus unis que les autres, et c’est ce qu’Anne Hidalgo a fait. Mais s’il existe des points de convergence, les divergences sont trop grandes sur l’Europe, la laïcité ou la gestion de l’immigration. Une primaire n’est utile que lorsqu’on sait qu’un programme et un gouvernement communs sont possibles.

On pourrait imaginer une primaire au sein du Parti socialiste si Anne Hidalgo était rejointe par plusieurs personnalités comme Arnaud Montebourg, Pierre Larrouturou et éventuellement Christiane Taubira dont le nom est souvent cité. Si cette dernière était candidate à une primaire partielle, je pense qu’elle pourrait l’emporter. Mais elle se heurterait ensuite à Jean-Luc Mélenchon et à Yannick Jadot, et la victoire serait beaucoup moins évidente. Il est donc probable qu’elle ne s’avance pas.

On sait depuis 2017 que les thèmes traditionnellement portés par la gauche comme les inégalités, le pouvoir d’achat, le rapport au travail, mais aussi la transition écologique et sociale sont au centre des intérêts des Français. Pourtant, les candidats de gauche semblent incapables de se faire entendre dans les débats pour la présidentielle. Pourquoi ?

Dans les débats, un certain nombre de thèmes marqués à droite l’emportent depuis plusieurs années : la sécurité, l’immigration, l’identité… Pourtant, il est erroné de penser qu’il y a un basculement à droite de la société française. Les aspirations à la protection sociale, à des services publics de qualité, à une meilleure redistribution et à une tolérance sur l’évolution des mœurs sont une réalité.

Il existe encore un électorat de gauche, et je dirais même « des électorats ». Mais plusieurs facteurs ont joué lors de l’élection de 2017. D’abord, un événement que les gauches ne veulent pas admettre, c’est qu’en 2017 une part notable de l’ancien électorat modéré de François Hollande, a rejoint Emmanuel Macron, qui semblait alors proposer une politique de centre gauche. Ensuite, le PS, qui réussissait à créer une dynamique commune à gauche, a éclaté.

En interne, le quinquennat de François Hollande s’est achevé dans les crises autour de la déchéance de nationalité et du débat sur la loi travail, effaçant les points positifs du quinquennat comme les réformes sociales ou l’amélioration de la situation de l’emploi et des entreprises.

En externe, deux offres politiques fortes sont apparues, emportant une partie des cadres et de l’électorat du PS : celle d’Emmanuel Macron, et celle d’une gauche de la gauche avec La France Insoumise. Aujourd’hui, l’offre politique est trop divisée.

La gauche a-t-elle déjà connu un éclatement et une crise similaires dans le passé ?

La gauche est divisée depuis toujours, avant même le Congrès de Tours de 1920. C’est une spécificité française : à certains moments, comme en 1936 avec le Front populaire, la conjoncture conduit à un rassemblement. Mais les moments d’unité sont traditionnellement moins fréquents que la division.

Si la gauche a connu des périodes graves dont elle s’est remise, en 1939, 1958 ou 1969, le contexte de l’époque était à chaque fois très différent. En 1969 par exemple, Gaston Defferre et Pierre Mendès France ne réunissent que 5 % des votes, mais on est alors au lendemain de Mai 1968.

Les syndicats sont forts, le Parti communiste fait plus de 20 %, la société repose sur une classe ouvrière constituée et non sur un salariat atomisé. La situation pourrait effectivement être plus grave aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été.

On voit chez nos voisins européens des partis de gauche revenir au pouvoir. Les situations sont-elles comparables ?

On a vu un social-démocrate devenir chancelier en Allemagne, des dirigeants socialistes accéder au pouvoir au Portugal et en Espagne, et des pouvoirs de coalition se constituer dans les pays nordiques. Mais tous s’étaient maintenus au-dessus de 20 % dans les sondages. En France, les électorats de gauche et du PS sont divisés depuis la défaite des élections législatives de 1993. Alors que le PS réunissait 40 % à son pic dans les années 1980, il ne dépassait plus les 23 % dans les années 2000.

Les cinq ans qui ont suivi l’élection de 2017 n’ont pas permis de retrouver une force électorale suffisante, et il est très compliqué de bâtir une stratégie de reconquête lorsqu’on part de 6 %. Le succès des élections municipales et régionales a été trompeur, car il s’est fondé sur la popularité d’élus sortants.

On accuse aujourd’hui la gauche de ne pas être présente sur les thèmes dits républicains et d’être incapable de trancher, notamment sur la question de la laïcité. Est-ce nouveau ?

C’est une simplification erronée et un contresens historique. Il y a toujours eu un débat à gauche sur la nature de la laïcité, sur son interprétation. En 1905 déjà, le groupe socialiste laïc militait pour que la foi ne soit plus qu’une affaire de vie privée, tandis qu’Aristide Briand et Jean Jaurès se battaient pour la liberté de culte. C’est un débat intemporel, qui s’est rejoué tout au long du XXe siècle, avant même que l’islam rentre dans le débat en 1989, avec l’affaire des foulards de Creil.

Certains politiques au laïcisme très fort s’appuient sur les dérives d’une partie très minoritaire de l’extrême gauche qui n’est pas hostile à des formes de communautarisme pour pointer du doigt cette difficulté à trancher, mais cela n’est pas honnête.

Dans une tribune parue dans Le Monde, le directeur de Terra Nova Thierry Pech souligne l’incapacité de la gauche à s’adresser aux classes populaires actuelles. Faites-vous le même constat ?

La France contemporaine est effectivement beaucoup plus composite, territorialement, professionnellement, que l’électorat sur lequel la gauche a construit sa base. Son succès a longtemps reposé sur sa capacité à unir une partie des classes populaires à une partie des classes moyennes. Or, aujourd’hui, les classes moyennes urbaines sont très libérales culturellement, ce qui n’est pas le cas d’une partie des catégories populaires. Idem sur l’écologie. Il est très difficile de rassembler des électorats aux centres d’intérêt parfois opposés.

L’extrême droite, elle, a construit un récit cohérent. Il n’y a pas pour l’instant d’équivalent à gauche. Sur un certain nombre de grands enjeux idéologiques, la clarification n’est pas suffisamment forte. Mais le défi n’est pas impossible à relever. Contrairement à ce que l’on entend, le Parti socialiste n’est pas mort et peut encore s’appuyer sur un réseau important d’élus jeunes et innovants. Il faut désormais que la gauche identifie des thèmes unifiants, comme l’éducation, la santé, le logement, la protection du travail contre l’ubérisation. Il est possible de remodeler une vraie force politique de gauche, sans les recettes du passé.

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