Présidentielle 2022 : Les candidats sont-ils condamnés au coup d'éclat pour exister ?

CAMPAGNE Dans une machine médiatique qui va toujours plus vite, une déclaration ou une proposition choc peut faire exister un candidat… A ses risques et périls, néanmoins

Rachel Garrat-Valcarcel
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Arnaud Montebourg, candidat à l'élection présidentielle, en octobre.
Arnaud Montebourg, candidat à l'élection présidentielle, en octobre. — SEBASTIEN BOZON / AFP
  • La précampagne présidentielle est particulièrement marquée par des propositions et déclarations chocs... quand il ne s'agit pas d'un geste insultant.
  • Peu importe si la crédibilité d'une proposition est discutable, elle fait parler du candidat ou de la candidate et de sa campagne. Un avantage dans un monde médiatique où le marché de l’attention est très prisé.
  • Attention à ne pas tout tenter : une sortie de route peut vous coûter cher.

Doubler le salaire des profs. Qualifier de « crime contre l’humanité » la non-levée des brevets sur les vaccins. Bloquer les transferts privés d’argent pour obliger certains Etats à accepter les retours de leurs ressortissants qui séjournent illégalement en France… Autant de propositions chocs qui, en particulier pour celles et ceux qui peinent à décoller dans les sondages, ont permis aux candidats et candidats à la présidentielle de faire parler de leur campagne. Et quand il ne s’agit pas d’une déclaration, il s’agit parfois d’un geste spontané, à l’image du doigt d’honneur d’Eric Zemmour ce week-end à Marseille.

Pour le polémiste, cet épisode – qu’il a qualifié de « fort inélégant » – risque de laisser des traces. Mais n’est-ce pas ce que recherchent les candidates et candidats à travers leurs coups d’éclat ?  Anne Hidalgo s’est assurée plusieurs jours de couverture de son annonce de candidature avec sa sortie sur les profs.  Fabien Roussel a reçu plusieurs invitations dans des médias pour lui faire commenter sa proposition sur les brevets. Quant à  Arnaud Montebourg, il est longtemps resté empêtré dans la polémique mais a « bénéficié d’un vrai bond de notoriété », dit un de ses proches dans Le Monde

Vers un match de catch présidentiel

Faire des sorties chocs pour exister dans une campagne, la stratégie n’est pas nouvelle. Mais l’éparpillement des oppositions après l’élection d’Emmanuel Macron a peut-être contribué à ne faire émerger, derrière lui, que des « petits candidats » et des « petites candidates », plus particulièrement encore à gauche. Dans ce paysage fragmenté, il est encore plus compliqué d’exister, contrairement à une époque où un grand parti de droite et un grand parti de gauche structuraient les débats.

Florian Silnicki, conseiller en communication à La French Com, n’y va pas par quatre chemins : on va tout droit vers une campagne qui va ressembler à un grand match de catch. « Comme au catch, le récit est soigneusement mis en scène en politique. Comme les catcheurs, les politiques ont à construire un personnage et son positionnement sur l’échiquier. Les rivalités qui les opposent sont aussi simulées qu’exagérées pour rythmer le récit électoral. » Mais comment en est-on arrivé là ?

Baisse de l’attention

La conséquence d’un monde où désormais l’attention de chacun et chacune est si sollicitée qu’elle devient très faible. « L’essentiel, pour le politique, est de réussir à capter l’attention, il faut donc frapper les esprits et dire plus en moins de temps. Ce qui donne des discours souvent plus émotionnels », analyse le conseiller en communication. Et d’après Florian Silnicki, ça marche très bien : « Les clashs plaisent parce qu’ils paraissent très naturels et laissent à penser qu’ils dévoilent quelque chose d’authentique, alors que c’est plus que jamais une mise en scène. » Attention, néanmoins, au risque de « lasser toujours plus les électeurs », prévient Paul Brounais, de l’agence Deux-Quatre.

En appeler à l’émotion plus qu’à la raison serait donc payant. Les personnalités politiques ne s’en cachent d’ailleurs pas forcément. Ian Brossat, directeur de campagne de Fabien Roussel, assume la stratégie du candidat : « Fabien parle cash, il dit les choses de manière très nette, très claire, sans détour. C’est une qualité ! » Et l’élu parisien d’ajouter : « C’est son tempérament, il ne se force pas, il est franc et sincère. »

Une campagne tranquille gage de sérieux ?

Depuis la polémique créée par sa proposition très droitière de bloquer les transferts d’argent privé vers certains Etats, Arnaud Montebourg a été critiqué de toute part. Ce qui ne l’a pas empêché de repartir en campagne – même s’il a hésité. Certains de ses proches ont même considéré que l’épisode n’était pas totalement négatif : « Avant la polémique, il y a des gens qui ne savaient même pas qu’il était candidat », dit un proche dans Le Monde. Est-ce que cela veut dire que tout est permis pour exister médiatiquement ?

Florian Silnicki est plus nuancé : « C’est vrai à court terme. Mais c’est faux sur le moyen et le long terme. D’autant que l’anecdiotisation de la vie politique fait qu’une étiquette peut vite vous coller à la peu au détriment du personnage que vous construisez. » Il s’agit de ne pas perdre la crédibilité et la hauteur de vue que les électeurs attendent d’un possible président ou d’une possible présidente. « Donald Trump a gagné en enchaînant les coups d’éclat, mais la France n’est pas les Etats-Unis », pense Paul Brounais.

C’est ce sur quoi la campagne de Yannick Jadot prétend miser. « Les Français veulent du sérieux et on l’assume. On ne veut pas faire une campagne n’importe comment en courant derrière Zemmour. Il n’y a pas que les chaînes infos ! Il y a la presse quotidienne régionale aussi, c’est ça que les Français lisent », explique un proche conseiller du candidat écolo. D’après lui, la proposition de Yannick Jadot d’interdiction de la chasse pendant les vacances et les week-ends est la preuve qu’on peut imprimer sans clasher. Et peu importe si les sondages sont stables et si certains, dans l’équipe de campagne, veulent voir Yannick Jadot sortir de sa zone de confort. A voir si le sang restera aussi froid à mesure que l’échéance du premier tour se rapprochera.