Interview

Présidentielle 2022 : « Pécresse perturbe le scénario de Macron »

A moins de quatre mois du premier tour de l'élection présidentielle, le politologue Bruno Cautrès analyse pour « Les Echos » ce que change le retour en force de l'épidémie de Covid, la victoire de Valérie Pécresse au congrès de LR et l'irruption à gauche de la probable candidature de Christiane Taubira.

Bruno Cautrès est chercheur au Cevipof et enseignant à Sciences po. (IBO/SIPA)

Par Grégoire Poussielgue, Alexandre Rousset

Publié le 30 déc. 2021 à 7:30

Le retour en force de l'épidémie de coronavirus perturbe-t-il la campagne présidentielle ?

Pas vraiment en ce moment car nous sommes dans la période de Noël. Mais il risque de la perturber en janvier, au moment où la campagne va reprendre. Je vois deux effets. D'abord sur la forme, avec la difficulté, voire l'impossibilité, pour les candidats d'avoir recours à des meetings électoraux de grande ampleur.

Ensuite sur le fond, la question est de savoir si la campagne va se faire là-dessus, c'est-à-dire sur les conséquences à retirer de cette épidémie en termes de service public, notamment avec la question de l'hôpital qui revient fortement sur le devant de la scène. Est-ce que le débat présidentiel va se transformer en un bilan d' Emmanuel Macron face à l'épidémie et les conséquences qu'on peut tirer de cette crise ? La question est là.

Qu'est-ce que cela peut changer pour les candidats ? Vont-ils arriver à se faire entendre ?

La difficulté pour les candidats sera de percer le mur de l'épidémie pour arriver à se faire entendre. Cela concerne particulièrement ceux qui font campagne sur un thème plus spécifique, comme Yannick Jadot . Les questions climatique et écologique intéressent les Français, mais, pour le moment, le candidat écologiste n'arrive pas à mettre ces thèmes sur le dessus de la pile. Au début de la crise épidémique, les écologistes avaient expliqué que la crise sanitaire était aussi une crise écologique, mais ils n'ont pas réussi à le démontrer auprès de l'opinion.

Si l'épidémie déborde au-delà de février, les candidats prêts à challenger Emmanuel Macron sur sa gestion de la crise auront un avantage sur ceux portant des thèmes plus spécifiques. Je pense en particulier à Valérie Pécresse . De longue date, bien avant la primaire, elle s'est positionnée sur une critique en règle de la gestion de l'épidémie, notamment au travers de son rôle de grande élue locale, sur le système de décision d'Emmanuel Macron.

Les Français sont-ils entrés dans la présidentielle ?

Oui et non. L'élection présidentielle intéresse les Français, le niveau d'intérêt est important mais il reste en dessous de celui enregistré il y a cinq ans. On peut dire que c'est un effet de la crise.

A gauche, l'hypothèse d'une candidature de Christiane Taubira est de plus en plus forte. Cela peut-il faire bouger les lignes ?

Dans ses dernières déclarations, Christiane Taubira se présente en candidate de rassemblement. Elle commence des ébauches de propositions. Ça montre qu'elle a vraiment envie d'y aller et qu'elle ne se retirera pas sur la pointe des pieds. Si Christiane Taubira, Anne Hidalgo et Arnaud Montebourg se départagent lors d'une primaire, ça pourrait changer beaucoup de choses pour la suite de la campagne de la gauche.

Yannick Jadot refuse d'y participer pour l'instant…

Si la primaire a lieu, la pression sur Yannick Jadot deviendrait extrêmement forte et il aura les plus grandes difficultés à maintenir son refus. Le problème de Yannick Jadot est qu'il ne peut pas se réclamer d'un avantage net et décisif dans les enquêtes d'opinion. Dans les dernières études, il est même en recul et s'approche de la zone de danger des 5 %.

Jean-Luc Mélenchon rejette toute idée d'union. Est-ce une bonne stratégie ?

Sa stratégie sera payante pour consolider le noyau dur de son électorat. Mais cette hypothétique primaire est un vrai enjeu pour lui car avec un seul candidat de centre-gauche, il ne fera pas le même score qu'en 2017. Certes il avait fait une très bonne campagne il y a cinq ans, mais il avait aussi profité de l'effondrement de Benoît Hamon, qui a provoqué un éparpillement des électeurs de centre-gauche vers Emmanuel Macron ou vers lui. Ça pourrait éventuellement déboucher sur un match nul entre les deux candidats de gauche au soir du premier tour.

La gauche peut-elle espérer atteindre le second tour ?

En l'état ça me semble presque impossible. C'est une scène en trompe-l'oeil car chacun essaye de faire le meilleur score en pensant à l'après-2022. Qui pourra revendiquer le leadership de la gauche après la présidentielle ? Qui endossera la responsabilité de la division ? Qui sera en mesure de dire « Je participe à la reconstruction de la gauche et je suis bien placé pour faire quelque chose d'important » ? Ces questions ne trouvent pas de réponses évidentes aujourd'hui.

C'est 2027 qui se prépare déjà ?

Oui. Si Valérie Pécresse gagne en 2022, ça libérera un espace de centre gauche à reconquérir. Si c'est Emmanuel Macron qui gagne, il ne se représentera pas en 2027, et on pourrait très bien revenir à la traditionnelle confrontation entre la droite et la gauche même si des évolutions sont à attendre dans ces deux camps.

Comment analysez-vous le début de campagne de Valérie Pécresse ?

Pour le moment elle stabilise l'avantage de sa victoire au congrès. Dans les heures qui ont suivi, beaucoup d'observateurs faisaient la comparaison avec Benoît Hamon qui s'était écroulé en 2017 après avoir pourtant remporté la primaire de la gauche et réalisé une percée dans les sondages. Ils disaient que c'était un feu de paille.

Au final, le pari est pour le moment réussi. Ses intentions de vote actuelles, autour de 17 %, ne sont pas énormes pour un candidat de sa famille politique, plus proche du score de Jacques Chirac en 1995 et 2002 que celui de Nicolas Sarkozy en 2007 et 2012. Ça peut néanmoins lui suffire pour atteindre le second tour.

Est-elle la concurrente la plus dangereuse pour Emmanuel Macron ?

Oui très clairement. La victoire de Valérie Pécresse au congrès perturbe totalement le scénario qu'imaginait Emmanuel Macron, à savoir rejouer le match de 2017 face à Marine Le Pen. Face à la candidate LR, il aura beaucoup plus de mal à se distinguer, notamment sur les sujets économiques.

Le duel Eric Zemmour - Marine Le Pen peut-il évoluer ?

Sans doute car il y a chez leurs électeurs, comme dans tous les électorats, beaucoup de personnes qui hésitent encore. Dans ce match, en revanche, il y a un élément très structurel, qui ne bouge absolument pas dans nos enquêtes : la sociologie de leurs électorats. Eric Zemmour n'est pas du tout arrivé à capter l'électorat populaire. Il est surtout fort chez les seniors, les catholiques conservateurs, les catégories bourgeoises ou les chefs d'entreprise.

A l'inverse, Marine Le Pen a réussi à conserver son bastion : les travailleurs précaires, les jeunes travailleurs pauvres. Certes les catégories populaires sont plus abstentionnistes mais elles sont beaucoup plus importantes en nombre. Ce qui explique aussi le léger avantage de Marine Le Pen dans les sondages.

L'extrême droite à plus de 30 %, qu'est-ce que ça dit de la société française ?

C'est tout sauf une surprise car on observe dans nos enquêtes que des avis comme « Il faut remettre de l'ordre en France » ou « Rien ne va plus en France », sont partagés par de nombreux Français, notamment au sujet de l'immigration. Il y a clairement un fort ancrage à droite de la société française.

Mais il ne faut pas oublier qu'il y a aussi très forte demande de protection et de justice sociale. C'est d'ailleurs difficile pour la gauche de voir qu'ils sont les porteurs de ces valeurs mais ils ne sont pas pour le moment audibles.

Est-ce qu'Emmanuel Macron doit garder au maximum sa stature de président avant de redevenir candidat ?

Oui. Ses voeux du 31 décembre vont être scrutés de près. Mais il doit toujours répondre à la grande question : un second mandat, pour quoi faire ? Pour le moment, il n'apporte pas de réponse claire à cette question simple mais essentielle. Dans son interview à TF1 , il a donné des débuts de réponse, mais rien de précis. L'enjeu pour lui est d'expliquer à quel point la gestion de la crise sanitaire a transformé son diagnostic sur la France, tout en ne reniant pas celui de 2017. Donc se maintenir le plus possible en président du « quoi qu'il en coûte », en président protecteur, est une bonne posture.

Peut-il bénéficier de la présidence française de l'Union européenne ?

Elle le mettra en scène en tant que chef de l'Etat, avec des propositions fortes et une vision. Mais en même temps, l'opinion française n'est pas très favorable à l'Europe en ce moment, elle doute et s'interroge sur l'intégration européenne. Dire que c'est grâce à l'Europe qu'on a pu bénéficier rapidement des vaccins n'est pas suffisant, car les Français voient aussi la difficulté pour avoir un rendez-vous de vaccination ou des pharmacies surbookées pour passer un test.

La crise a aussi remis sur le devant la question de l'intérêt national et du patriotisme économique, donc ce n'est pas évident de dire qu'il faut encore plus d'intégration européenne. Mis à part des conditions générales, dire qu'on est plus fort en se serrant les coudes entre Européens, il n'y a pas de forte demande de plus d'Europe en France. Cette présidence peut être à double tranchant pour lui. Emmanuel Macron ne doit pas donner l'impression, en février ou mars, qu'il se préoccupe plus de l'Europe que de la gestion des problèmes en France.

Est-ce que la crise sanitaire est favorable à Emmanuel Macron ?

Oui. Elle lui a bénéficié en lui permettant de sortir du crash des « gilets jaunes » dans l'opinion. Il a un niveau de popularité correct, sans être impressionnant. Il y a un écart persistant, de l'ordre d'une quinzaine de points, entre sa popularité et les intentions de vote. Cela signifie que des Français lui reconnaissent des mérites dans la gestion de la crise sanitaire, mais, pour autant, ne voteront pas pour lui.

Doit-il aller rechercher des voix de gauche ?

La configuration de ce qu'on aura comme candidat à gauche en février, à l'issue de la primaire populaire, sera déterminante pour lui. L'électorat de centre gauche pourrait aller vers cette candidature. Christiane Taubira est une icône à gauche et peut incarner cela. Au contraire, si la candidature à gauche ne correspond pas à cet électorat, cela peut le faire revenir chez Emmanuel Macron. Le « quoi qu'il en coûte », le président protecteur pendant la crise, est plus de centre gauche que de centre droit.

On peut supposer qu'Emmanuel Macron attend que le paysage se stabilise à gauche. Il pourra ensuite ajuster ses propositions, comme de nouvelles protections pour les Français après avoir réformé l'économie depuis 2017. Mais il ne faut pas oublier qu'une partie de l'électorat de gauche estime qu'Emmanuel Macron a créé ses ennuis en raison de sa conception très verticale du pouvoir. La crise des « gilets jaunes » lui a aliéné une partie de la gauche.

Grégoire Poussielgue et Alexandre Rousset

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